Réédition du troisième album du chanteur Lewis vénéré par tous les romantiques pour « L’Amour », pépite de 1983 rééditée il y a quelques temps
Tiens, curieux, il semblerait que Light In The Attic, label nécrophile par excellence, refasse parler de lui ces derniers temps. Après Sixto Rodriguez, le nouveau phénomène de foire à être déterré et rendu présentable par ce label en or est canadien et se nomme Lewis (N’allez pas croire, au ton quelque peu hautain et un poil méprisant utilisé ci-dessus que cette chronique sera négative, bien au contraire)., Il partage en commun le destin peu banal de Rodriguez, à savoir deux OSNI sortis en catimini sous le manteau dans les années 80 (l’amour et romantic times) et, trente années plus tard, réédition + succès auprès du public alors que le gars ne donne plus signe de vie depuis au moins une décennie.
Bis repetita me direz-vous.
Certes, mais là où il se distingue encore plus, de son compagnon d’infortune, c’est que ce canadien, apparemment vivant et consommateur de cocktails, malgré le succès des deux rééditions, paraît se foutre royalement du destin en or que LITA lui offre en refusant les royalties amassées par les ventes de ses disques (je songe sérieusement à lui filer mon RIB s’il n’est vraiment pas intéressé). Prétextant que sa carrière de musicien est maintenant derrière lui et qu’il n’a pas encore fait le tour des cocktails existant en ce bas monde. Dis comme ça, ça peut sembler hallucinant mais si on écoute le dernier album exhumé sur l’internet via FiascoBros que s’apprête à rééditer LITA, et enregistré semble-t-il sous le nom de Randy Duke il y a 14 ans, on peut comprendre la démarche actuelle du Sieur Lewis (Randall Wulff de sa véritable identité).
Avec love ain’t no mystery, Lewis pulvérise et envoie valser tout ce qu’il a pu faire auparavant : autant ses précédents, opus étaient sophistiqués, précieux sans être ridicules ( il existe une ligne rouge que celui-ci a toujours eu le bonheur de ne jamais franchir même s’il semble jouer avec en permanence) autant love ain’t no mystery est un disque brut de décoffrage, d’une nudité extrême. Le jeune crooner décalé des années 80 s’est mué en bluesman fatigué cultivant sa dépression avec une guitare, une contrebasse (et encore, à l’écoute c’est pas si évident) et des arrangements d’un minimalisme à faire passer le Will Oldham du second Palace Brothers pour un Phil Spector sous acides.
Album d’une longueur effarante (13 morceaux pour quasi 90 minutes, la plupart des morceaux dépassant les 6 minutes), extrême et casse-gueule au possible, love ain’t no mystery semble être le disque d’un gars n’ayant aucune considération, mercantile pour le système dans lequel il évolue et, dont seul compte la musique autistique qu’il est capable de produire, faisant d’elle un mal nécessaire, un besoin vital. Autistique certes, repliée sur elle-même, mais surtout intemporelle, profondément humaine, d’une beauté irradiante, empreinte de jazz, de soul plus que de folk, dont les figures tutélaires pourraient être Billie Holiday, ou encore Otis Redding, au plus profond de la dépression (ce heartbreak d’introduction, magnifique soul dépouillée, aurait pu, être, un inédit de Redding, ), et, avoir pour, compagnons d’infortune le Josh T Pearson mystique de last of the country gentlemen mais en plus dépouillé encore (est-ce vraiment possible ?) ou bien un, Loren Mazzacane Connors période unaccompanied acoustic guitar improvisations., A la différence près, que les chansons de Lewis ne sont pas de simples jets de tripes à la face de l’auditeur avec hululements possédés mais bien des morceaux structurés et abordables, apparemment chantés en prise direct (gobage de micro et jets de postillons inclus), limite improvisés, sans filtre, seulement guidés par une muse bienveillante et un talent extraordinaire., Pour parfaire le tout, on pourra ajouter qu’à l’écoute de, love ain’t no mystery, l’auditeur a également, l’impression de découvrir un journal intime, une mise à nu limite indécente, dévoilant les moindres état d’âmes de son auteur, véritable, liste de clichés concernant, les échecs sentimentaux possibles et inimaginables (pour s’en convaincre, il suffit de jeter un oeil aux titres). à‡a pourrait être ridicule, risible, c’est juste bouleversant.
Après une telle description, vous vous direz : pour sortir un artiste de cette trempe de sa poche, soit le hasard est bienveillant avec les gars du label LITA, soit ça sent le plan marketing parfaitement huilé. Personnellement (et fielleusement), , j’opterai pour la seconde solution. J’imagine le staff et le déroulement du plan :
bon les gars,, on essaie voir si ça prend (l’amour) !!! , à‡a prend ? Ouaisssss, profitons-en et voyons si ça fonctionne encore (romantic times) . Yesssss, dans ce cas, sortons-en un autre avant que le public ne se lasse (love ain’t no mystery) et surtout, une fois les rééditions écoulées (cd comme vinyles), on n’en represse pas d’autres, hein, on ne réédite rien, que dalle, histoire d’entrer dans la légende. à‡a vous paraît correct comme plan les gars ? Ouais ??, Allez, en avant Guingamp (ouais je sais : les boss de LITA sont américains, alors Guingamp, je suis pas sûr qu’ils connaissent, mais on s’en fout.)
Il n’empêche, même si j’extrapole sur le déroulement des événements, même si je suis d’une mauvaise foi crasse, on ne peut enlever au label le travail de fourmi exécuté par ses fondateurs pour découvrir des talents hors normes parfaitement oubliés et absolument indispensables. L’exhumation de Lewis en est une nouvelle preuve et cet album, véritable OVNI dans la production actuelle, semble en être l’apogée. Pas sur qu’ils, feront mieux si prochaine fois il devait y avoir., A moins que, d’ici un mois, ils ne redécouvrent un autre album oublié de Randall Wulff sous un autre patronyme. Sait-on jamais.
Christophe Ciccoli