Dans une industrie musicale qui confond trop souvent surexposition médiatique et qualité artistique, on ne saurait trop remercier le jeune Avigdor Zahner-Isenberg d’avoir pris son temps afin de nous délivrer un deuxième album aussi réussi.
« Avigdor qui ? » vous entends-je dire d’ici. Mais si, voyons, le gamin Avi Buffalo qui, avec son premier disque sans titre et du haut de ses dix-neuf ans, avait illuminé le printemps et l’année 2010 de sa fougue pop en liberté débordante de spontanéité juvénile.
Parti tôt (trop sans doute, le musicien se montrant insatisfait du caractère inabouti de ce galop d’essai aussi frais et prometteur qu’un peu débraillé dans sa réalisation), le jeune homme, après avoir peaufiné son art sur d’autres projets, nous revient en ce début de septembre ensoleillé comme ambassadeur parfait d’un été sans fin.
Plus resserré, plus mature, riche d’arrangements aux climats contrastés et explorant une thématique amoureuse un brin désabusée, At Best Cuckold, au titre explicite et cru (« Au mieux cocu ») n’a nullement rogné l’insolent talent de mélodiste et song writer du farfadet californien à la voix craquante de fausset. Mais révèle bien plus directement sa capacité confondante à fondre en un même style la liberté d’esprit de Flaming Lips folk rock et la verve guitaristique d’un néo Neil Young urbain.
Peaufiné avec soin et patience en compagnie du producteur Nicolas Vernhes (Animal Collective), dès le single So What d’ouverture, on avale d’un coup cette collection de dix titres au charme rayonnant, entre journal de bord post-adolescent (Can’t Too Be Too Responsible), bombes power pop d’humeur tonique (Found Blind, Think It’s Gonna Happen Again) et ballades-confessions d’une belle profondeur (Won’t Be Around No More) au ton définitivement plus touchant qu’à l’accoutumée.
Un album d’une lisibilité de tous les instants, réservoir pop en liberté qui semble dialoguer avec plusieurs époques, entre les années 70 et aujourd’hui et saluer autant les solides héros rock, le Neil Young du Buffalo Springfield en tête que les éminents outsiders indie plus fragiles (Elliott Smith, Jason Lytle).
Un recueil où, malgré son vieil amour pour la guitare et les soli rugissants qui vont avec, comme attendu par le titre, l’intimisme introspectif se taille la part du lion sous la forme de ballades délicates, vignettes ourlées d’arrangements choisis, : piano lunaire de She’s Seventeen, slide guitar cowboy et riffs électriques rageurs de Won’t Be Around No More ou guitare acoustique décorée de choeurs et de cuivres seventies sur le superbe Overwhelmed With Pride, sommet émouvant de ce parcours radieux.
Car oui, cet album, tout débordant de sève juvénile, d’exaltation rêveuse et de liberté pop doucement mélancolique qui vous donnerait l’illusion d’avoir le jeune âge de son auteur, au-delà de sa belle unité musicale et immédiate séduction, vous charme et vous touche autant, d’une façon plus profonde et inattendue.
Comme la sagesse insoupçonnée d’un homme d’expérience cachée dans les virées vagabondes d’un jeune chien fou plus mûr qu’il n’y paraît.
Alors quoi, vous venez la faire, cette chouette balade avec lui ?
Franck Rousselot
Avi Buffalo. At Best Cukold
(Sub Pop Records / PIAS)
Paru le 8 septembre 2014
site Avi Buffalo
Sub Pop Records
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