L’Amour et les forêts, d’Eric Reinhardt

Le sixième roman d’Eric Reinhardt nous plonge dans le quotidien, apparemment banal, d’une mère de famille en proie au harcèlement (im)moral de son mari. De cette femme, Eric Reinhardt va faire une héroïne du XXᵉ siècle dans un récit où le romantisme et l’étude sociale se mêlent avec habileté.

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Photo Catherine Hélie © Éditions Gallimard

Bénédicte Ombredanne, car c’est son nom, prend contact avec l’écrivain suite à la lecture du roman « Cendrillon » paru quelques années auparavant et qui semble avoir constitué un déclic pour elle. Finalement, ils se rencontrent à la terrasse d’un café à Paris. Le temps de deux rendez-vous, elle va lui raconter sa vie, comment elle subit depuis des années le harcèlement de son mari. Dans sa maison, dans son travail, dans ses déplacements, Bénédicte est tourmentée par un homme d’allure insignifiante, timide, sans grande personnalité, mais capable pourtant des pires horreurs envers celle qui partage sa table et son lit au quotidien. Mais les choses s’enveniment sérieusement et prennent définitivement une tournure tragique lorsque Bénédicte rentre d’une journée passée en compagnie d’un homme rencontré sur internet et avec lequel elle a passé la plus belle journée de sa vie.
Harcelée jour et nuit par un mari qui la pousse par tous les moyens à lui raconter où elle était, ce qui s’est passé, elle résiste puis finit par tout lui avouer. Mais les choses, au lieu de se calmer, ne vont qu’empirer.

L'Amour et les forets - Eric Reinhardt

Le livre démarre assez lentement en mode « autofiction » avec une écriture délayée et un style qui par moment désarçonne, pour ne pas dire agace par son côté un peu affecté, par des tournures empreintes d’une certaine forme de lyrisme. Malgré tout le récit de cette rencontre entre Eric Reinhardt et cette femme sonne juste. L’intimité des échanges, leur sensibilité commune et une passion partagée pour les nouvelles de Villiers de l’Isle-Adam vont finalement permettre à Bénédicte de se livrer totalement et ainsi permettre à l’auteur de raconter, avec une précision chirurgicale, la descente aux enfers de son personnage.

Plus qu’un roman sur les secrets de la vie du couple ou sur le harcèlement, « L’Amour et les forêts » est avant tout une plongée dans le corps, dans l’âme et dans l’esprit de Bénédicte Ombredanne, cette femme sacrifiée sur l’hôtel de la soumission, cette femme, subissant la vie plutôt que maitrisant son destin, malgré son statut social, malgré son intelligence, et pour laquelle on souhaite à chaque instant une vraie rébellion.

De ce portrait de femme, tout en finesse, tout en délicatesse, Eric Reinhardt fait un roman qui, au fil des chapitres, va gagner en puissance, en intensité, pour se transformer dans la dernière partie en une véritable et bouleversante enquête sur la vie de cette prof de français pleine de mystère, sans histoire, qui n’a jamais rien dit à  personne de sa souffrance, et qui décida un jour, par là  grâce d’un roman, de parler.
On referme le livre à  la fois ému et sous le choc, mais en tout cas content d’avoir partagé avec l’écrivain et sa confidente un morceau de vie pas banal.

Benoit RICHARD

L’Amour et les forêts
Romand’Eric Reinhardt
Editeur : Gallimard
368 pages – 21,90€
Parution : 21 août 2014