Éblouissement immédiat que ce Passerby d’une beauté rare. Découvert grâce à ce deuxième album radieux, le duo folk Luluc fait scintiller la grâce de ses ballades d’une poésie intemporelle et s’impose comme un des petits miracles de l’année. Coup de foudre.
Il en va des disques comme des êtres de chair et de sang, une seule rencontre peut vous les rendre indispensables à jamais. Mieux, il arrive que des notes entendues pour la première fois vous semblent déjà intimes et résonnent immédiatement comme faisant partie de vous.
Ainsi, dès les quelques arpèges de guitares du titre Small Window qui introduisent une voix féminine pure, altière et d’une suprême délicatesse, le coup de foudre pour la musique de Luluc s’impose, comme une lumineuse évidence.
Dès lors on plonge sans réserve dans les dix plages folk, intemporelles et rayonnantes de Passerby, lac fascinant de sérénité aussi tendre et accueillant que pétri d’intimiste introspectif. Couvé par le label Sub Pop, poli avec amour par Aaron Dessner de The National, ce deuxième album du duo Zoë Randell et Steve Hassett, venus de Melbourne, imprime dès sa première écoute sa marque en vous, douce et tendre mais définitive.
Si l’art classique développé par ce couple de néo-ménestrels modernes – lui, baladin barbu discret, elle gente dame blonde de celles pour lesquelles les poètes d’antan inventèrent l’amour courtois – évoque sans conteste les plus belles heures d’un folk intemporel urbain (Nico, Joni Mitchell, Leonard Cohen), on ne saurait limiter leurs compositions épanouies d’un raffinement mélodique constant à la seule catégorie folk acoustique, trop réductrice.
Comme autant de « petites fenêtres » ouvertes sur le monde, les chansons de Luluc observent et détaillent tendrement amis de passage (Passerby), saison épanouie (Winter Is Passing), ville vue d’avion (Small Window), pensées amoureuses rêveuses (Reverie On Norfolk Street) ou doutes existentiels (Senja, foudroyant de beauté grave).
Beau regard impressionniste, lumineux et doucement euphorisant, délivré avec une grâce de tous les instants (les arpèges ouatés du langoureux Gold On The Leaves), livré dans un sobre habillage folk épuré, dénudé, guitare acoustique habitant l’espace, juste relevée ça et là de cuivres dissonants d’inspiration velvetienne (Tangled Heart) ou d’une envolée légère de violon (superbe Star final).
Comme puisant à une source pure antique, l’art limpide du duo, déjà auteur d’un disque inaugural négligé chez nous, évoque autant l’âge d’or du folk période Laurel Canyon, les pionnières méconnues Bridget St John et Vashti Bunyan ou des Cowboy Junkies et Mazzy Star en version acoustique et recueillie mais à l’égal pouvoir d’envoûtement. Et sur lequel règne le timbre presque impassible et pourtant solaire de Zoë Randell, voix de déesse à la fraternité si humaine.
Musique d’apaisement, chant spirituel, musique de l’âme exprimée d’une sérénité faussement détachée, emprunte d’une élégante solennité et d’une pointe de gravité dénuée de la moindre pose, Luluc évoque plus encore l’image d’une rêveuse, les yeux grands ouverts sur la nuit, le regard tourné vers l’intérieur, les sens en éveil, attentive au moindre chuchotement et bruissement de son âme. La sienne mais tout autant la nôtre en fait.
Doux rivage d’harmonie et de subtilité poétique, on ne saurait s’étonner que la musique limpide et précieuse du couple ait séduit les oreilles du légendaire Joe Boyd, passeur providentiel des joyaux intemporels du grand Nick Drake. Parrainage prestigieux mérité qui, même si leurs ballades se révèlent moins sombres que celle de l’historique anglais, révèle la belle singularité, entre épanouissement et fragilité, de cette musique pactisant avec le silence et reconnectée avec l’essentiel.
Disque miroir de nos espoirs, doutes et intermittences quotidiennes, voici un des plus beaux rendez-vous que puisse vous réserver la musique cette année. « I guess I could just confess, I really needed you » chante le refrain de Reverie On Norfolk Street. Vous avez tant besoin d’eux, vous aussi.
Franck ROUSSELOT
Luluc. Passerby
Label : Sub Pop / PIAS
Paru le 15 juillet, sorti en France le 15 septembre 2014