Œuvre hautement romanesque, polar ludique et habilement construit pour l’un… livre enquête banal sans flamboyance pour l’autre, le roman à succès de Joël Dicker partagé la rédaction.
POUR : Au cinéma on parlerait d’un thriller efficace, sans temps mort où l’on ne voit pas le temps passer. Dans le cas de »La Vérité sur l’affaire Harry Quebert, » on peut parler d’un roman fleuve intense et passionnant, signé d’un jeune auteur suisse de 27 ans plein de promesse.
Marcus Goldman, après avoir écrit un premier roman à succès, connaît l’angoisse de la page blanche. Il décide alors de reprendre contact son ancien professeur de littérature, Harry Quebert, un écrivain devenu célèbre trente ans auparavant pour son chef-d’oeuvre »Les Origines du mal ». Celui-ci vit désormais à Aurora dans le New Hampshire. Au moment où ils se retrouvent survient un drame : la jeune Nola Kellergan, disparue trente-trois ans plus tôt dans des circonstances étranges, est découverte par hasard, enterrée dans la propriété d’Harry Quebert. Ce dernier est aussitôt arrêté et incarcéré. Commence alors pour Marcus Goldman un véritable travail d’enquête qui va le faire remonter à l’année, 1975 au moment de la disparition de l’adolescente.
Doit-on parler de chef-d’oeuvre pour ce roman de Joël Dicker ? Sans doute pas. Mais une chose est sûre, »La Vérité sur l’affaire Harry Quebert » est, par sa puissance narrative et son scénario diabolique, un de ces livres (comme »L’adversaire » d’Emmanuel Carrère, dans un genre différent), dont vous vous souviendrez longtemps. Une oeuvre hautement romanesque racontant une histoire se situant sur plusieurs époques, avec une enquête policière passionnante, pleine de rebondissements, le tout écrit, dans un style assez classique, parfois un peu ampoulé, un peu lourd, un peu répétitif, notamment pour tout ce qui concerne la description de la relation amoureuse entre Quebert et Nola.
Malgré tout la lecture reste toujours agréable, grâce, à un récit à la fois très dense et très aéré, avec beaucoup de dialogues, une belle habileté narrative et un scénario en béton.
Tout au long du roman, et pas seulement pour les lieux et pour le contexte évoqué, on sent dans l’écriture de Dicker l’inspiration de grands auteurs de la littérature américaine contemporaine. A ce tire, l’auteur suisse ne cache pas son admiration pour l’œuvre de Philip Roth et semble même avoir truffé son roman de références et de clins d’oeil à l’écrivain et à son fameux roman La tâche.
Laissez-vous donc happer par ce gros volume, par ce roman ludique et populaire, par ce livre à suspense, avec en fond, une réflexion plutôt intéressante sur le métier d’écrivain, sur les affres de la création, la relation entre le romancier et ses éditeurs, sur la littérature business, sur la construction d’un best-seller… ça tombe bien c’en est un, !
Benoit RICHARD
Contre : Interviewé récemment par le journal »Le Parisien » suite au succès (plus d’un million de ventes – format poche inclus) de son premier roman, Joël Dicker, lauréat du prix Goncourt des Lycéens et de l’Académie française en 2012, balançait : »jamais je n’aurais imaginé ça, un tel succès ». J’avoue que, venant de refermer le livre terminé, j’ai du mal à imaginer également. Découvert sur le tard, après moults encouragements amicaux de lecture, et la sortie en poche de »la vérité sur l’affaire Harry Quebert » qui tombait pile poil avec un été plutôt propice à se poser devant un pavé, j’avoue que ce vrai-faux polar et son succès dingue m’étonnent au plus haut point.
Mais pour ceux qui n’en sauraient rien, quelques mots sur l’intrigue : Marcus Goldman revient sur les traces de son ami cher et de longue date, Harry Quebert, écrivain à succès, et récemment coupable du meurtre, trente ans plus tôt, d’une fillette de 15 ans avec qui il aurait eu une liaison à l’époque. Principal suspect donc, mais son »disciple » admirateur, lui-même écrivain prometteur, décide de mener son enquête, via un livre d’investigation, et rouvrir ainsi un dossier hâtivement clos…
A priori, un polar on ne peut plus classique, mais un matériau de départ intéressant, avec possibilité de thèmes un peu pervers ou provocants (relation sexuelle avec mineur, mise en abîme écriture / fait réel / fait fantasmé)… Rien de tout cela. Dès le début, le lecteur (pour ne pas dire »moi ») a ce sentiment de déjà -vu mâtiné de mièvrerie qui dégouline de pages écrites vraiment pour des non-amateurs de livres… On est vraiment pas loin de la littérature ultra-populaire qui cartonne en ce moment (type Marc Lévy ou Musso) mais on se dit que tout cela n’est que chausse-trappe et que tout ce petit mécanisme romantico-ronronnant va vite être dynamité…
Rien de tout cela non plus. Joël Dicker reste vraiment au ras des pâquerettes de son enquête sans flamboyance ni style ; sans non plus être totalement raté, mais sans enjeu, à part l’intérêt de se dire »mais qui est le/la meurtrière »… comme dans tout polar finalement.
Sauf que des polars glauques, hallucinants, flamboyants ou trépidants, on en a lu des tas, des tonnes, le niveau supérieur a été atteint depuis belle lurette. Et l’intérêt de ce livre énorme et beaucoup trop long s’émousse au fil des pages, avec le questionnement croissant de ce qui a bien pu provoquer un tel engouement – et la décision académicienne de lui octroyer un prix. Car je n’ai pas parlé de l’écriture… Mais j’en resterai là.
« La vérité sur l’affaire Harry Quebert » vient donc de sortir en format poche de 700 pages. La vérité : plongez-y si vous n’avez rien d’autre à lire, et si vous n’avez pas encore lu de polar de votre vie…
Jean-François Lahorgue
La Vérité sur l’affaire Harry Quebert
Roman de Joël Dicker
Genre : drame, policier
Éditions de Fallois / L’âge d’Homme
670 pages – 22€
Parution : septembre 2012
en poche depuis juin 2014
Grand Prix du Roman de l’Académie française 2012
Goncourt des lycéens 2012