Si ce livre n’était pas écrit par Didier Da Silva, je ne suis pas sûr que je l’aurais lu jusqu’au bout même si je suis habituellement plutôt persévérant et tenace. A la lecture des premières pages, j’ai eu un peu l’impression que l’auteur avait feuilleté une pile de vieilles éphémérides où il aurait relevé quelques coîncidences qui sont absolument incontournables quand on considère la population de la planète dans son ensemble. Mais les phrases bâties comme des châteaux classiques, tout en longueur, harmonieusement rythmées, où tout a une fonction architectonique, rien n’étant concédé à une quelconque décoration superflue, ces phrases que l’on ne peut mesurer qu’à l’aune de la page, m’ont séduit par leur rythme, leur musique, l’eurythmie qu’elle dégage. Cet Hardouin-Mansard de la phrase méritait bien une lecture attentive, il faut qu’elle le soit car son texte est un entrelacs d’événements très variés : créations artistiques remarquables (romans, poésies, symphonies, opéras, films, « ), crimes les plus sordides, naissances, décès, rencontres, »de personnages célèbres ou appelés à le devenir, faits divers retentissants, grandes premières, innovations révolutionnaires, tout un entrelacs d’événements qui, pour un historien, constitue une part de la matière première de ses études. Son travail peut s’expliquer par celui qu’il prête à l’un de ses très nombreux héros :
» « depuis que l’homme pense il rapproche des faits sans lien apparent et trouve le joint avec, le plus souvent, une facilité déconcertante, une fois configurées les données d’un système les signes s’attirent comme des aimants, pour ainsi dire spontanément : il faut seulement veiller à ne pas l’élargir trop, le système, car il perdrait à proportion de sa pertinence : à considérer le tout évidemment que tout se tient, la belle affaire, mais alors le charme se rompt, les coîncidences n’en sont plus et le trouble fait place à l’incompréhension « .
Même si je n’ai pas très bien compris l’objet de ce livre, si ce n’est la volonté de montrer la grande agitation qui anime perpétuellement l’humanité et la nature et le nombre incalculables de coîncidences qu’on pourrait déceler en épluchant méticuleusement les éphémérides, je considère, en ce qui me concerne, que ce texte est avant tout un grand exercice de jonglerie lexicographique, une savante construction d’un fastueux édifice littéraire, un paysage dessiné et aménagé par un Le Nôtre des jardins littéraires avec une foison de mots oubliés, savants ou banals artistiquement dispersés en des bosquets en forme de phrases longues comme les allées d’un parc.
Ce texte est court mais très dense et le lecteur qui pensera en sortir en une heure ou deux de lecture risque sérieusement se tromper car il est particulièrement et se réfère à un nombre impressionnant de sujets et de connaissances. Soit Didier Da Silva est le Pic de la Mirandole de notre époque, soit il a travaillé très sérieusement sa culture générale pour arriver à produire cette oeuvre qui in fine m’a impressionné tant par la qualité de sa rédaction que par l’encyclopédisme de l’auteur.
Denis Billamboz
L’ironie du sort
Roman de Didier Da Silva
Editeur : L’Arbre Vengeur
154 pages – 12€¬
parution : février 2014