Avec Manipulator, Ty Segall nous invite à un voyage avec tapis volant sonique sous influence 70’s. Entre relecture glam rock inspirée et plaisir du raffut grunge, son talent éclate.
« Tout vient à point à qui sait attendre ». Sans être accro des proverbes vieillots ou dictons antiques, c’est toutefois la réflexion qui vient à l’esprit à l’écoute de cette nouvelle et réjouissante galette de Ty Segall. Déjà quelque temps qu’on avait repéré le potentiel du guitariste et chanteur californien désigné petit prince du garage rock US à la suite de son mentor John Dwyer (Thee Oh Sees). Mais la propension du grand blond à enchaîner albums garage punk au son bien rêche dans la plus grande hyperactivité, le garçon participant, à une foule de projets, ne facilitait pas la fréquentation du bonhomme.
On se révèle d’autant plus enchanté par ce Manipulator, nouvel et enthousiasmant double album révélant enfin à tous le talent de monsieur Ty. Le jeune guitariste-compositeur a beau afficher son éternelle boulimie encyclopédique à farfouiller dans l’histoire du rock (avec grosse préférence pour le début des 70.’s et le bagage fuzz, heavy, blues ou psyché rock), tout dans ce voyage aux dix-sept étapes bénéficiant enfin d’une production soignée, fait enfin sens et procure un plaisir immédiat.
Un tapis volant sonique, sous haute influence vocale et artistique du farfadet glam rock Marc Bolan de T-Rex, figure tutélaire planant sur la majorité, des bombes rock de l’opus (The Clock, The Singer, The Faker) mais délivré avec l’énergie bluffante et le groove d’un gamin doué ayant découvert la musique à l’époque des formations grunge.
Brillant coup de chapeau aux fondamentaux maîtres du barouf électrique et monstres des seventies, Led Zeppelin ou Black Sabbath en tête, Manipulator évite cependant le piège d’un revivalisme vintage trop formaté, type Temples, en trempant ses références séminales dans un salutaire bain d’énergie garage punk, à coup de fuzz diaboliques et riff sauvages (les sommets Feel ou It.’s Over). Et qui peut même convoquer le souvenir du revival Madchester des années 90 (les Stones Roses, en premier lieu).
Une aisance permanente, fruit des tournées incessantes de l’infatigable musicien, parcours de fait ce Manipulator insolent d’énergie et d’évidence. Où brille enfin le song-writing du jeune homme, capable de pondre des néo-standards glam rock (Tall Man Skinny Lady, The Clock) d’une sauvage délicatesse dans un bel écrin rock serti de cordes divines que ne désavouerait pas un certain Tony Visconti, circa 1972.
Et, comme on entend déjà certains se plaindre que le jeune Segall, avec sa voix aux accents bowiens grande époque, ne fait que recycler avec habileté tout un langage rock connu depuis des lustres, ce en quoi font écho certains titres (The Singer, The Faker), jusque dans cette appelation ambiguë de « Manipulator » on leur répliquera que, bien loin d’un copiste tâcheron, Ty Segall fait vibrer avec panache la flamme d’un rock fondamental aux couleurs en fait jamais passées de mode.
Bien loin d’un hommage compassé, Manipulator réactive l’air de rien le plaisir parfois trop oublié d’un rock qui pousse les boutons dans le rouge et fait sentir diablement vivant. Son meilleur album et un des purs plaisirs de la rentrée, à prolonger en live si jamais l’animal passe près de chez vous prochainement.
Franck Rousselot
Ty Segall. Manipulator
Label, : Drag City / Modulor
Paru le 25 août 2014