Eros contre Thanatos, l’amour contre la haine, l’espoir contre la résignation, Sophie Cadalen réédite le livre qu’elle a publié en 2003 pour raconter l’épreuve que son héroîne, elle-même peut-être – » j’admettais être un charognard qui se servirait du moindre événement significatif, tragique ou poétique, pour en nourrir son imaginaire et en tirer quelque chose qui parfois s’appellerait un roman » – doit affronter quand son mari découvre qu’il est atteint d’une tumeur au cerveau. » Celle qui y dit » je » était l’interprète de mon urgence, de mon impératif à consigner les derniers instants d’une vie qui disparaît, les progrès d’une maladie qui a gagné la partie « .
Avec une écriture à la mesure de cette dramaturgie, dense, intense, riche qui court sur la page comme pour consigner dans l’urgence tout ce que cette femme ressent, tout ce qu’elle est en train de perdre, toutes les frustrations qui l’attendent et toutes celles qu’elle supporte déjà , Sophie Cadalen nous offre une grande page d’émotion, de douleur à partager, de compassion à offrir. C.’est un très beau texte qui explore cet espace que la pudeur et l’inhibition empêchent toujours d’évoquer : toutes les frustrations qui attendent les femmes qui se retrouvent seules, privées de celui qu’elles ont aimé, de celui qui leur a donné le plaisir auquel elles ont droit et qu’elles n’éprouveront peut-être plus jamais.
l’auteure évoque cette lutte implacable entre l’épouse légitime et l’autre, » L » la maîtresse, la tumeur, elle qui prend inexorablement possession de celui qu’elle aime, qu’elle ne veut pas perdre, qu’elle n’accepte pas de voir partir au bras de cette maîtresse implacable et déloyale. Elle est dans le refus, elle ne veut pas croire à une issue fatale, elle ne n’accepte pas la dégradation, elle reproche à son mari de la laisser, de l’abandonner. Elle se sent la victime de ce combat fatal avant de finir par accepter son sort, sa solitude, son abandon et de se muer en vestale gardienne de la dernière demeure de son mari en pleine décrépitude.
Cette histoire m’a évidemment ramené à la mémoire ce livre du romancier espagnol Miguel Delibes, » Cinq heures avec Mario » que j’ai lu il y a bien longtemps, il raconte la nuit qu’une femme passe aux côtés de la dépouille de son mari pour lui énumérer tous les reproches qu’elle a accumulés contre lui au cours de leur existence commune. l’héroîne de « Tu meurs » accable elle aussi son mari, elle lui reproche de l’abandonner, de ne plus lui donner le plaisir qu’il lui donnait avant, de se décomposer, de la laisser seule mais ce texte est aussi un grand roman d’amour parce que cette femme, à travers ce qu’elle reproche et regrette, met en évidence tout ce que son mari lui donne, lui a donné et pourrait encore lui donner s’il se débarrassait de l’autre, celle qui le phagocyte et l’emporte. » Mon amour tourne et rôde autour de ta mort, il fait mine de déguerpir, d’abandonner la partie, de se divertir d’un autre homme. C.’est une feinte inutile. Je t.’aime « .
Difficile de croire que l’auteure n’a pas connu une aventure de ce genre car son texte est trop charnel, sa douleur trop palpable, sa frustration trop sexuelle et son désir trop brulant. La mort a été sa compagne un jour ou l’autre, elle semble en connaître la réalité, » je les déteste, ces irruptions d’un monde à côté du nôtre, cette prétendue réalité qui fuit devant l’unique vérité : celle de la mort « .
Denis Billamboz
Tu meurs
Roman français de Sophie Cadalen
Editeur : Tabou
16€¬
Parution : 10 octobre 2014