Dans †œBrouillard† (2013), Jean-Claude Pirotte évoquait déjà ce cancer revenu frapper à sa porte. Dans †œPortrait craché†, la menace se fait plus précise. †œL’homme†, comme il l’appelle pour le mettre à distance, se sent tout près de quitter ce qu’il lui reste de vie. S’il évoque sans fard sa paralysie faciale, sa peine à tenir des lèvres sa cigarette ou à boire son café, le livre n’a rien d’une chronique hospitalière, ni d’un apitoiement sur soi. C’est plutôt le journal d’un homme qui écrit †œpour tenir en respect les avanies du corps† au moins jusqu’à demain.
Le texte tient constamment cette ligne entre amour de la vie quand même, et désespoir, tout comme dans le souvenir de son adolescence †œse heurtent les éblouissements et la prescience des désastres.† Plus que de la maladie, il souffre de l’exil. Il a dû quitter sa maison pour un appartement plus proche de l’hôpital. C’est le retour à sa ville natale détestée, comme si la boucle se refermait dangereusement. C’est surtout tous ses livres laissés derrière lui, qui formaient †œun barrage à la déréliction†, et dont l’absence lui causent un vrai chagrin. Cet éloignement le dépossède, avec la crainte de ne jamais revoir sa maison.
Mais ce livre est surtout celui d’un lecteur, qui déclare son amour à la littérature et à quelques auteurs qui lui sont chers, parfois oubliés : Marcel Arland, Joseph Joubert – un moraliste qui fut publié après sa mort grâce à Chateaubriand – le Vosgien Henri Thomas… Comme si Jean-Claude Pirotte s’effaçait déjà , lui qui se disait †œmoins doué pour la colère que pour la mélancolie†.
Gageons que son oeuvre, elle, restera.
Brigitte Tissot
Portrait craché
Roman de Jean-Claude Pirotte
Editeur : Le Cherche-Midi – 192 pages
Parution : juin 2014
Extrait :
†œOn ne lit plus Arland, on ne lit plus personne, plus aucun de ces écrivains dont la parole feutrée défie le temps. Il y a là pourtant cette douceur cruelle, cette attente, ce paysage qui constituent le secret révélé des existences. Et la lecture prend le pas sur la douleur, on dirait presque qu’elle la maîtrise, sans cesser de l’évoquer par un silence habité. La littérature, que le monde aujourd’hui méprise, est la seule sauvegarde. Il suffit de quelques lignes souveraines et modestes, et le ciel change de couleur.Il y a comme un parfum de résurrection (mais comment exprimer cela sans emphase ?) qui réveille les sens et apaise le coeur.
(« ) Il faudra certes mourir, et la perte, le pressentiment de la perte, rendra plus précieuse encore la remémoration des pages lues. Jusqu’à la dégradation programmée. Mais sait-on quelles paroles accompagnent les mourants ?†.