Dans sa chronique de la semaine, Monnot fait l éloge du formidable album de Barbagallo tout en évoquant le 11 novembre, l harmonie municipale et le France-Allemagne de 1982. Accrochez-vous messieurs-dames !
Punaise ! Mais comment j’en arrive à faire une captation pirate de la bancale harmonie municipale avec mon vieux téléphone dans la solennité des célébrations du 11 Novembre 2014 ? Je pourrais trouver plein d’excuses à ce comportement déviant et si peu respectueux de la mémoire de mes ancêtres les poilus, mais non, le vieil adage de mon père en tête (ne te justifie pas tu te couvres de pipi), je fonce tête baissée et, tel un nouveau Zola, j’accuse : c’est la faute à Barbagallo les mecs ! A cause de toi Julien, et ça depuis une semaine que j’écoute ton disque en boucle, j’ai ressorti le quatre-pistes, le Bontempi, ma vieille guitare sèche et me retrouve le Samsung à l’écran explosé tendu entre les épaulettes, les galons et les képis. La honte !
Les fausses notes de la fanfare en arrière-plan souffreteux de mes ballades nues et déstructurées, ça c’est Lo-Fi.
Alors attention : mes projets underground de rocker trop vieux pour l’overdose ou le suicide, d’écrivain, certes publié, primé même, mais totalement inconnu, de chroniqueur à côté de la plaque, n’ont rien à voir avec la folk lumineuse de Julien Barbagallo. C’est juste que je me suis dit : mince, le gars fait tout, écrit, joue, chante et enregistre, à la maison entre deux tournées ou peut-être même dans des chambres d’hôtel ou le tour-bus puisque que Monsieur est accessoirement batteur des excellents Aquaserge.
Pourquoi pas moi aussi ?
Amor De Lonh (amour de loin du troubadour pour l’inaccessible princesse de Tripoli) me donne envie de reprendre les armes. A mon micro-niveau bien sûr et de manière différente, mais calmement, sans se prendre le bourrichon. Alors attention #2 : je ne suis pas en train de te parler d’une maquette ou de la phase proto d’un projet musical. Je te parle bien d’un album, produit simplement et probablement avec les moyens du bord, ok mais complètement homogène et bien droit dans ses bottes face à son pseudo dépouillement. Parce que oui c’est frais et spontané mais purée, Amor De Lonh reste sacrément construit. Tu y trouveras d’étonnantes et très agréables similitudes, notamment vocales, avec le travail du désormais divin Elliott Smith, un soupçon de Syd Barrett et la poésie positive d’un jeune Nougaro pour le clin d’oeil à la Ville Rose. Il n’est pas évident d’écrire des textes en français sans prise de bec et bons à la fois, pas naîfs et inexperts pour un sou et en totale adéquation avec les mélodies qu’ils servent. Fine plume va !.
Autre point fort : la rythmique. Quand un batteur, de surcroît très bon, habitué aux architectures alambiquées d‘Aquaserge, se jette sur les partitions et les arrangements de guitares et claviers et bien tu dois t’attendre à taper du pied mon coco ! Un truc assez addictif tu verras.
Ajoute enfin à ça que le tout est joliment mis en boîte par la presque désormais incontournable nébuleuse pop francophone Objet Disque/Almost/La Souterraine qui oeuvre pour la très bonne santé artistique du secteur et hop le tour est joué. File te procurer Amor De Lonh !
Julien Barbagallo, j’ai une idée à te soumettre, tu en fais ce que tu veux, c’est cadeau ! Je suis dans la voiture (une fois de plus te diront les habitués de cette chronique) et cavale au supermarché pour acheter une tarte normande pour le dessert puisqu’après le dépôt de gerbe au monument aux morts, les ronronnements du maire à ses administrés et le pot de l’amitié (A l’amitié donc et aux élections), nous sommes conviés à déjeuner chez des copains anglais. l’armistice, nos alliés britanniques, la tarte normande dans laquelle je ne vois rien d’autre qu’une allusion semi-directe aux 70 ans du débarquement. à‡a fait beaucoup de références aux guerres successives et au sang pour mon petit inconscient sensible et pacifiste. Ma femme vient de m’houspiller parce que j’ai encore mis mais vieilles baskets pourries. » Elles sont pas pourries j’ai dit, et en plus elles sont bleu-blanc-rouge, c’est un clin d’oeil au drapeau français, j’exerce mon devoir de mémoire ! » Ce sont des Adidas Americana, les mêmes que portait mon alter ego littéraire Estéban (dans Noche Triste, édition Antidata au cas où ») le 08 juillet 82 à Séville le soir du sinistre France-Allemagne. Cette nuit-là , Mitterrand, pour quelques dents sur la pelouse et une erreur d’arbitrage manque d’appuyer sur le bouton rouge. On parle souvent de l’affaire des missiles cubains mais absolument pas de cette sombre affaire de demi-finale de coupe du monde qui est complètement passée à l’as ! Mais je m’égare, revenons à ma chérie qui, partiellement convaincue, me laisse filer car nous ne sommes pas en avance.
Je suis donc dans la voiture, entre la maison et le rayon pâtisserie, dans une nonchalante semi-conscience, l’autoradio joue Amor De Lonh. Dehors un beau soleil froid d’automne, la lumière est magnifique aujourd’hui tu dirais. Le morceau qui tourne c’est La Réconciliation « . Et là , bing ! Le clip vidéo se met à défiler, millimétré comme un 14 juillet.
Tu es sur une estrade avec ta guitare Julien, dans le wagon de la clairière de Rethondes, forêt de Compiègne, 11 Novembre 1914″habillé en poilu, casque et long manteau. T’as une sacrée allure barbu, chevelu si possible souillé de la boue des tranchées. Les plénipotentiaires sont là , attablés en longueur devant toi. Les Allemands font la gueule, les Français sourient, méprisants et se tapent des checks : » Yes, yes, yes, on les a bien fumé les chleus, on va pouvoir leur repiquer l’Alsace et la Lorraine, on a vengé ceux de 70″REVANCHE »yes, yes, yes on va bien les dépouiller à Versailles comme ça on remet ça en plus sophistiqué dans 20 ans ! Yes, yes, ye « et on fout le souk dans les Balkans, au Proche et au Moyen-Orient aussi comme ça on a du boulot pour encore au moins un siècle et demi Tape m’en cinq baby !. Les Anglais, eux, restent flegmatiques mais n’en pensent pas moins.
Fantaisie militaire, tu vois le genre
Mais ta musique fait son oeuvre, tout le monde se détend et commence à dodeliner du chef au rythme de la réconciliation. Il y a des soldats au garde à vous le long des murs de la pièce. Eux aussi frémissent du genou. Pas que des européens, des tirailleurs sénégalais, des gars d’Afrique du Nord et des quatre coins du monde, faut être le plus exhaustif possible, on sera assez loin de la réalité historique des états-majors, mais la transmission et l’échafaudage de la Vérité passent plus par la symbolique que par la réalité alors on s’en fout.
D.’un coup, les négociateurs se lèvent en se tortillant, la grande table s’éclipse comme sur un tapis roulant et les chaises s’enfoncent dans le plancher par des trappes qui s’ouvrent sous le destin du monde (si tu manques de moyens, ce sont les soldats qui les retirent mais j’aime moins le côté Nestor à la Tintin). l’assemblée se met alors à tourner, entre bonshommes, plénipotentiaires et troufions, toutes nationalités mélangées, valse d’un grand brassage utopique.
l’amour des peuples, adieu velléités belliqueuses.
Au milieu de ce joyeux bazar, un ex-guerrier, ivre d’alcool et » du miel de la réconciliation » jette la paperasse administrative en l’air comme des confettis désespérés.
Putain c’est beau ! Je retourne à mon quatre-pistes et ma fanfare !
Merci Julien.
Stéphane Monnot