Il aura donc fallu le désir de la chaîne sérielle Netflix de clôturer The Killing d’une courte et intense quatrième saison, pour que cette immense série ne termine pas en queue de poisson et puisse bénéficier d’un achèvement digne. Retour sur une magnifique série plutôt méconnue, et injustement d’ailleurs.
En 2011 débarque aux USA, au milieu de pléthore de séries policières basées sur des enquêtes au long cours, l’adaptation très fidèle d’une série danoise au succès local remarquable, Forbrydelsen. Basée dans la région grise et pluvieuse de Seattle, elle se démarque pourtant rapidement de ses comparses télévisuelles par son ambiance, son ton, son rythme et le développement des personnages liés à une enquête passionnante. Et si les saisons enchaînent jusqu’à cette année des intrigues plutôt classiques (disparition d’une ado, complot mafieux et politique régional, condamnation à mort d’un possible innocent, ou massacre familial sur fond d’école militaire taiseuse), elles permettent aussi le portrait en cinémascope de flics au bout du rouleau, désabusés ou bien méritants évoluant dans un contexte déprimant.
Car la force, l’originalité et finalement la beauté formelle de The Killing résident essentiellement dans ça : plus que jamais, l’enquête policière se dissimule derrière des personnages forts, durs et d’une bouleversante simplicité. Il convient ici de saluer la sublime interprétation de Michelle Enos, dont je me demande encore comment elle a pu échapper aux récompenses des Emmy Awards où elle fut souvent nominée. Véritable mur de façade, allure un peu bancable et malaisée, toujours mal dégrossie, coiffée, blafarde, avec blousons XXL et pulls camionneurs, elle est un bloc de froideur et de persévérance, inapte à toute forme de sociabilité, héritière d’un passé sentimental chaotique qui lui a valu la séparation d’avec un fils qu’elle ne voit pratiquement jamais, et dotée d’une logique froide et impressionnante qui l’empêche d’être déviée de ses investigations criminelles. Et pourtant, au détour d’un effondrement des parents d’une disparue, d’une destinée qui bascule, d’aveux arrachés de témoins, elle doute, vacille, ou s’effondre le temps d’une minute, d’une scène, sans longueur ni pathos. Et quand les fêlures apparaissent, que le masque tombe, même quelques instants, elle est magnifique, très émouvante, car on devine l’importance de cet instant émotionnel si rare dans ce personnages hermétique. Et l’actrice l’incarne avec une précision et un talent assez rarement vus sur le petit écran.
Evidemment, elle est accompagnée, dans la lignée des fameux duos improbables de flics, par un jeune inspecteur ex-toxicomane plutôt désoeuvré et assez hargneux malgré son flegme, brillamment interprété par Joël Kinnaman, mais qui impressionne moins que son acolyte féminine. Et, troisième »acteur » remarquable de la série, Seattle sous la grisaille et la pluie, la Seattle des quartiers paumés, des périphéries rurbaines délaissées, des espaces forestiers sinistres et des architectures bétonnées froides. Cette ambiance lugubre, assez déprimante au premier abord, installe pourtant, aidée d’une lenteur ample et habile, une ambiance poisseuse qui sied parfaitement aux intrigues.
Enfin, un mot sur cette quatrième saison, plus courte, qui n’aurait jamais du voir le jour si Netflix n’avait pas rattrapé le projet initial d’AMC qui annulait faute d’audience massive (encore une bêtise…). Dense mais courte (6 épisodes, raccourcie de moitié), elle n’est sans doute pas la meilleure mais elle permet de se replonger avec bonheur dans ce duo policier hors normes. Si l’on parvient à oublier une fin un peu trop »happy end » qui jure avec la noirceur sans retour du propos dans toute la série… Mais je chipote, tant The Killing reste pour moi une série majeure dans le monde foisonnant des enquêtes policières à la TV. Redécouvrez cette splendeur triste toutes affaires cessantes.
Jean-François Lahorgue
The Killing, de Veena Sud
aAec Michelle Enos et Joël Kinnaman
4 saisons (2011-2014) diffusées sur AMC et Netflix (USA) et Arte et M6 (France)