Il y a quelques semaines, et à l’occasion de l’anniversaire du centenaire de la première guerre mondiale, France Télévisions via son antenne France 3, diffusait la mini série » Ceux de 14 » inspiré par le roman somme éponyme de Maurice Gennevoix (qu’on évoquait précédemment sur Benzine).
Depuis plusieurs années, et par un attrait que je m’explique mal, je me documente sur 14/18. Mon bagage d’étudiant en lettres me porte spontanément sur les romans de l’époque, qui décrivent la guerre par les mots d’un romancier, d’un bédéiste, d’un cinéaste.
S.’agissant de la guerre de 14, le cinéma et la télévision nous donnent régulièrement des oeuvres souvent inégales. Pour un les sentiers de la gloire, Johnny got his gun, ou l’indépassable les croix de bois (1930), combien de Joyeux Noël et son Canet peu crédible, combien de Le Pantalon joué comme une pièce de théâtre, ou de Paschendaele canadien, mélange de romance à l’eau de rose et quête de sensationnalisme. A dire vrai, je craignais le désargentement de la nouvelle série française portée à l’écran cet hiver. Quelque part entre le Pantalon, Un village français, et les brigades du tigre (la série) mettons.
Sur un strict plan » filmique » la série en six épisodes de Olivier Schatzky,, est une réussite. Pas d’effet cheap en carton pâte, pas d’ellipse qui éluderait un combat trop onéreux à recréer, pas de surjeu théâtral ou Julie Lescaut-ien. Les meilleurs moments de la série se situent dans le sillage des » flashbacks » du récent Boardwalk Empire ou la scène d’ouverture du Long dimanche de fiançailles.
Les acteurs, pas forcément choisis dans le vivier habituel pensent la série comme un film de cinéma et évitent tout les clichés du genre » série française » (efficace Théo Frilet en Maurice Gennevoix).
On est agréablement surpris, parce qu’on n’a pas l’habitude. On est agréablement surpris aussi de l’écriture des dialogues qui pour une fois ne semblent pas issus d’un scénariste académicien dans l’âme peu à l’aise avec le dialogue naturel. Le parler sonne vrai, les échanges simples. D.’ailleurs quand on y pense, c’est amusant que cette simplicité de dialogues se basant sur l’oeuvre d’un Académicien
Au niveau de la cinématographie, pour évoquer la colline des Eparges, crête située à quelques kilomètres de Verdun où Gennevoix situe son récit, âprement disputée entre Allemands et Français jusqu’à la fin de la guerre, l’équipe du film a recréé un décor lunaire approprié dans la région. Ils offrent au spectateur des décors réalistes et assez confondants de cette région de la Meuse, autour du lit de la Woëvre. l’équipe n’a d’ailleurs pas lésiné sur les explosions, sur le travail du son (quasi aucun plan ou ne s’immisce une détonation de 75). La boue est une actrice du film, comme elle est actrice du roman de Gennevoix, les spécialistes de décors rendent efficacement le côté lunaire de la zone pilonnée en quasi continu par l’artillerie des deux camps.
Mais te dis-tu, il n’a que des compliments à la bouche l’asticot. Pourquoi alors sa note de fin de critique est-elle plus mitigée?
Il y a deux points qui me gênent (ou alors, me titillent la critique, mettons). Le premier tient au choix de centrer » l’action » sur une dizaine d’hommes de la 7e, section, de Gennevoix au 106e d’infanterie. Ce choix, tour scénaristique évident pour accentuer l’empathie du spectateur sur le destin d’hommes auxquels la série donne chair, n’est pas le fait de Gennevoix. Mais j’y reviendrai. Quand on lit le livre, de même quand on se représente un assaut d’infanterie, l’auteur ne concentre jamais son récit sur dix hommes rassemblés à tout moment de l’action. Sachant qu’une section de combat c’est environ 25 à 50 hommes, et que 5 sections minimum montent à l’assaut dans une même compagnie, , c’est justement dans la répartitions des » individus » creusés par Gennevoix sur une ligne de tranchée assez étendue, puis relayée souvent par la section du compagnon Porchon ou de Dast etc que nait l’intensité. Chez Gennevoix on suit des hommes répartis sur une centaine de mètres entre lesquels navigue le lieutenant, dans la série, on suit toujours les assauts d’une dizaine d’hommes, concentrés dans la même cagnat, le même trou d’obus etc. Si on a pas lu le livre, on s’en fout un peu. Si on l’a lu, on se rend compte que c’est cette ligne mouvante qui crée la tension, personnage à part entière dans laquelle l’auteur à choisi de donner à lire des individus, des vrais hommes, qui vivent meurent, sont remplacés par d’autres au cours du récit de ces quasi deux ans de front de l’auteur.
La section de la série est toujours complète avant les assauts, dans les rassemblements d’avant combat, mais dès l’instant où la caméra suit l’escalade sous les obus, les soldats ne sont plus que la dizaine d’acteurs qui font le film de bout en bout. A peine croisent-ils de temps à autres des anonymes qui » redescendent » ou sont morts. à‡a me gène un peu, surtout quand je regarde les quelques photos de l’époque, montrant dans certaines tranchées un homme tous les deux trois mètres, rendant la boucherie encore plus incompréhensible au vu du degré de protection des soldats de 14, enterrés à mi corps dans des sillons, provisoires, portant fièrement leur »casquette de toile et leur pantalon rouge vif. En cela le film ne rend pas l’effet de masse toujours présent dans le bouquin de Gennevoix, ni les arrivées et disparitions de nouveaux individus au gré des 600 pages du récit. Dommage. Parfois du coup je décroche quand je vois le lieutenant du film , tenter de tenir à 5 le haut d’une crête où ils semblent seuls.
Le second point qui chagrine un peu le lecteur de l’oeuvre de Gennevoix en moi, c’est de constater que les auteurs n’ont pas seulement condensé les 600 pages en 6 heures, comme c’est le cas par exemple dans l’adaptation de Game of thrones, mais ont aussi choisi de prendre de très nombreuses liberté avec le récit. Attention, ça n’en fait pas une moins bonne série, mais ça n’en fait pas du coup une très bonne adaptation de l’oeuvre de Maurice Gennevoix. Plus qu’une transposition Ceux de 14 la série, se sert de Ceux de 14 le livre, comme d’une trame narrative dans laquelle le cinéaste et son scénariste picorent une bonne histoire de guerre, plus qu’une fidèle transposition.
Ainsi, le lecteur de Gennevoix se demandera pourquoi tout au long de la série, les cinéastes ont choisi d’ajouter des personnages féminins proches de Maurice, deux soeurs qui vont même jusqu’à trouver un moyen de donner une représentation sur le front pour retrouver le khâgneux d’avant guerre. Etrange, à moins qu’il s’agisse là de contrer une éventuelle ambiguîté sexuelle que l’auteur quant à lui n’a sans doute jamais imaginé qu’elle puisse se présenter. Dans le roman, Gennevoix reste discret ou pudique sur ses intentions d’après guerre (je crois qu’il fait mention seulement une fois d’une lettre à une proche, mais comme un songe, comme une irréel qui convient bien à la situation de stress de guerre). A peine comprend-t-on que la proximité avec sa logeuse ou une photographe de Verdun titille ses phéromones.
Idem sur l’adaptation filmique l’amitié qui le lie à Porchon, un peu affadie il me semble, dans la série. Dans le livre de Gennevoix leur amitié est forte hors combat, comme dans la série, mais l’auteur le signale souvent avec sa section dans les même abris, que lui, dans les mêmes assauts, dans les mêmes stress nocturnes. Du coup, quand Porchon disparaît au champ de bataille on sent l’auteur brisé de perdre un ami, un double. Les dernières pages du roman sont d’ailleurs à ce titre éloquentes : Gennevoix » n’y est plus « . La mort de Porchon lui retire la dernière barrière entre l’automate et le soldat, le jeune homme et l’adulte fracassé »
D.’ailleurs je pourrais aussi signaler cet étonnement qui a été le mien tout au long de la série, de constater que les hommes montent quasi tout le temps en ligne de jour, et semblent passer quelques minutes voire quelques heures sur la ligne de feu. Dans le livre, Gennevoix décrit de nombreuses montées en ligne de nuit pour éviter les dirigeables et se planquer de l’ennemi, mais aussi de journées entières terrés dans une tranchée de première ou de seconde ligne, sous les obus qui déciment des hommes qu’il a pris soin de nous conter dans les pages précédentes.
Ou de me rendre compte que certains personnages de la série additionnent les caractéristiques de plusieurs des camarades de l’auteur, en concentré, ou d’ajout de scènes dont je ne me rappelle plus qu’elles aient été racontées dans le livre mais plutôt dans les reportages sur le front de type Apocalypse. Un peu comme avait fait Christian Carion, , dans le récent » Joyeux Noël » mélangeant des anecdotes des » Croix de bois » et un court métrage autour de la fraternisation dans les tranchées. Dommage pour l’hommage à l’auteur, dont je me rappelle que j’appréciais justement cette capacité à produire des narrations réalistes, humaines, mais cependant très cinématographiques ; et une manière de trouver l’humain trop humain dans un récit choral dont ce qui touche justement c’est de repérer l’individu dans un raz de marée de destins brisés.
Reste les qualités intrinsèques de la série. Ceux de 14 étonne parce qu’il s’agit d’une série française, qui en remontre tranquillement à certains essais cinématographiques récents du même thème. Mieux, je trouve que les auteurs ont réussi à trouver un juste ton dans les dialogues et dans la manière d’évoquer la boucherie des Eparges. On sent que les auteurs ont regardé Frères d’Armes (Band of brothers) et the Pacific, pour en tirer une histoire de camaraderie entre hommes emmenés dans une barbarie qui les dépasse. Une barbarie relativement effacée d’ailleurs des effets spéciaux choisis par les auteurs. Gennevoix décrit les corps déchiquetés qui lui retombent en pluie sur le visage, la langue d’un soldat qui lui tombe sur la main, les tripes, la pourriture des chairs et le sang, rarement surenchéris dans la série.
On avale pourtant les 6 fois 45 minutes sans aucun déplaisir. Une gageure pour une série hexagonale. Mais on se dit, aussi, qu’on a regardé une mise en images très correcte de la boucherie des premiers jours de guerre, mais pas du tout une bonne adaptation du roman de Gennevoix, sans doute le meilleur récit de » 14 » que j’aie jamais lu.
Denis Verloes
Réalisateur: Olivier Schatzky
Acteur(s): Théo Frilet, Alexandre Carrière
Genre: Documentaire / Fiction
Format: DVD Zone 2
Date de parution: 22 octobre 2014
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Un internaute généreux a mis un long extrait en ligne