Comme chaque matin, une fois englouti le petit-déjeuner préparé par sa femme, un homme conduit son rafiot au large des côtes bretonnes pour tenter d’attraper du poisson, ou du moins ce qu’il en reste. Car la pêche intensive à l’oeuvre ne laisse aux petits pêcheurs que de maigres quantités à racler au fond de la mer, déchets compris. l’homme ne se doute pas encore que la rencontre avec un effroyable bateau-usine, qui le prendra dans ses filets tel un jouet abandonné, va bousculer sa routine et faire de cet incident une véritable aventure.
Il n’est pas si courant d’avoir dans les mains une boîte de sardines qui ressemble à s’y méprendre à un livre, avec du vrai carton et du vrai papier. Ainsi est-il précisé au dos de cet étonnant (et joli) emballage, entre les ingrédients et les infos nutritionnelles : » Garanti sans dauphins, sans textes ni onomatopées. » Car de textes, il n’est pas question ici. Parti pris qui fonctionne généralement bien et fait ressembler cette histoire à un vieux dessin animé muet, dans le même esprit farfelu que » Les Triplettes de Belleville » où il était d’ailleurs question d’une traversée de l’Atlantique, exactement comme ici. Pourquoi une boîte à sardines d’ailleurs ? Parce que, ironie de la chose, c’est la pitance quotidienne (et détestée) de ce » héros malgré lui » quand il est en mer, glissée d’autorité dans sa besace par sa charmante épouse.
Je ne dévoilerai rien de plus de l’intrigue, mais les tribulations pleines d’imprévus de ce pêcheur freluquet perdu au milieu de l’océan et de sa bigoudène bien aimée qui affronte vents et marées pour le retrouver nous entraînent avec une certaine jubilation dans leur sillage.
Sur le plan du graphisme, Un Océan d’amour vaut selon moi davantage pour son utilisation réussie de l’aquarelle que pour le dessin en lui-même, très efficace pour rendre le mouvement grâce à son côté cartoon mais auquel je n’ai pas trop accroché. Incontestablement, le point fort de cet album est encore une fois le scénario de Lupano (décidément une valeur sûre), qui s’inscrit à fond dans le genre picaresque. Une histoire d’amour à l’humour tendre et aux rebondissements ébouriffants, souvent amusants, avec un message écologique glissé dans une bouteille et jeté dans les flots avec un scepticisme à la fois inquiet et désinvolte, sans lourdeur et sans mièvrerie. Un album qui marquera l’année par son originalité, déjà en lice pour Angoulême l’an prochain. Il ne faudra donc pas être surpris si l’on aperçoit des nuées de mouettes au-dessus de la ville pendant le festival.
Laurent Proudhon
Un Océan d’amour
Scénario : Wilfrid Lupano
Dessin : Grégory Panaccione
Editeur : Delcourt
224 pages – 24,95 €¬
Parution : 29 octobre 2014