Whiplash. Coup de fouet. Coup de trique. Coup de boule. Bam. Boum. Tchac. à‡a double swingue et ça éructe, ça sue et ça saigne. Baguettes en feu, cymbales ruisselantes, corps en transe jusqu’à l’épuisement, en charpie les doigts, en quête du tempo parfait ni trop lent ni trop brusque, carrément l’idéal. Et puis du jazz, encore du jazz, toujours du jazz. Charlie Parker, Buddy Rich, Stan Getz, Hank Levy« Et une lutte, un combat coriace qui oscille d’un récit d’apprentissage à un duel psychologique (et physique aussi, très physique). Andrew Neiman vs Terrence Fletcher. Ces deux-là semblent presque caricaturaux, des clichés gravés dans du cuivre, entre l’élève à claques, un brin candide, et le professeur respecté et redouté, cruel et tyrannique. Déjà vus cent fois. Sans surprises.
Mais cette mécanique d’emprise, de relation de force, de domination quasi sadomasochiste (souvenirs émus et agressifs de La pianiste de Michael Haneke), fonctionne en trompe-l’oeil parce qu’Andrew, loin du disciple ingénu qui cherche à se dépasser, devient un petit con suffisant (est-ce lui qui a intentionnellement perdu la partition d’un de ses concurrents ?) qui rejette jugement, famille et même petite amie pour atteindre l’apogée, et Fletcher une figure presque méphistophélique (crâne rasé, visage tumultueux, vêtue de noir) surgissant de l’obscurité comme une apparition, un maléfice, prête à toutes les extrémités (injures, gifles, humiliations, manipulations) pour révéler un futur batteur de génie dans la lignée des plus grands (et en retirer tout le crédit ?).
Whiplash va jusqu’au bout de cette idée, Andrew »vendant son âme » à Fletcher (après l’avoir trahi) pour concrétiser son rêve lors d’un final paroxystique et ambigu (nos rapports aux personnages s’y troublent sans cesse, et la morale s’y écorche au-delà de toute raison) qui va plus loin qu’une simple transcendance de soi soutenue par un démiurge passionné. Peut-être aurait-il fallu ne pas céder à cette troisième partie un peu plus terne, et faire de Fletcher un mystère absolu disparaissant comme il est venu, des ténèbres, mais permettant l’accomplissement de ce final insensé où Damien Chazelle, retors à souhait, nous entraîne là pour se dérober ici, puis repart ailleurs pour finalement braver l’apothéose et porter le coup de grâce. Et nous alors subjugués, alors hors d’haleine.
Dommage pour les quelques travers que Chazelle n’a su éviter : le personnage de Nicole, et tous les autres en général, n’existent que par petits bouts, servant de simples faire-valoir aux actes et aux décisions d’Andrew ; des baisses de rythme sans trop d’incidences ; une conjecture homosexuelle pas assez exploitée malgré les insultes équivoques de Fletcher (le plus souvent à caractère homophobe) et sa virilité outrée face à la silhouette fragile d’Andrew, malmené en permanence. Miles Teller, habité, sait tenir tête à l’impressionnant J.K. Simmons (LE Vernon Schillinger de Oz), grisant en salopard fini avec une vraie gueule de chez vraie gueule. Toutes leurs scènes de confrontation (en répétition, en concours) sont électriques et saisissantes, nerf de la guerre d’un film redoutable qui prend aux tripes et enflamme les tympans.
Michael Pigé