Cette semaine, je te parle d’une hydre bicéphale, d’une pièce avec laquelle tu joues à pile ou face.
Ma dernière chronique traitait de Scylla et de sa frangine Charybde »je continue dans cette veine de passage, de fin des continents et de langues de terre !
Voici donc que sort un double album live du groupe de Humbert et Cantat qui, comme pour bien mettre les doigts dans la prise, contient plus de chansons de Noir Désir que de Détroit. Tu le vois venir le monstre à deux têtes ?
Je ne vais pas m’user les neurones à débattre de la légitimité d’un homme à refouler ou non les planches. Chacun sa conscience. Je ne suis pas un penseur bien profond et dans le cas présent m’autorise l’accès au statut d’aveugle, guidé par la canne blanche d’une nostalgie certaine et l’amour d’un gros son héphaîstique, qui, que je le veuille ou non, a forgé pas mal de choses en moi. Je m’autorise même à penser que c’est une des meilleures captations live de Noir Désir depuis l’obscur et transcendant Dies Irae.
Et c’est ici que le bât chatouille un peu : il y a marqué Détroit sur la pochette. Un peu comme si la tête d’affiche se résignait à s’effacer derrière je ne sais quelle figure mythique ou ancestrale. La faute à qui ? A Barclay, à Cantat, au business »peut-être même aussi et évidemment au public qui, sous couvert d’aller voir un groupe sur scène défendre de beaux Horizons, a bien évidemment beaucoup d’attentes secrètes et inavouables. Détroit a pour l’instant besoin de Noir Désir pour exister et le fantôme de Noir Désir s’offre une nouvelle enveloppe charnelle pour continuer à nous hanter, échange de béquilles et bons procédés, portrait de Dorian Gray pour nos visages vieillissants.
Quoi qu’il en soit, cette petite entreprise ne connaît pas la crise. Les deux répertoires sont très bien assortis, l’ensemble est d’une étonnante homogénéité qualitative, le mixage est soigné, le jeu parfait, riche, à la fois planant, mélodique et rock puissance tournée 1992-93. Les années passent, les mises à jour des pourcentages honteux de vote F.N. sont faites sur Un Jour En France ce qui est toujours plaisant face à la nombrilisation et la dépolitisation ambiante, la voix est puissante, un peu usée ok, sur le fil du rasoir, éraillée, mais belle et toujours là . Noir Désir (sic) n’a techniquement jamais aussi bien joué. Alors oui, seul Serge Teyssot-Gay, mon idole, mon guitariste référent, est capable de maîtriser pleinement le riff de Tostaky, oui, ce ne sont plus les messes noires électriques de l’Olympia en novembre 89 (mon premier concert, purée j’ai cent ans), oui, c’est Détroit et pas Noir Désir, mais, mais, mais »les vieux morceaux – A Ton Etoile est à tomber – comme les nouveaux te font dresser le poil des avant-bras. Enfoiré amoral et profiteur que tu es, ferme les yeux, oublie tout et remonte le temps !
Et merde ! Le portrait de Dorian Gray »
» Aqui para nosotros, aqui, aqui para nosotros ! «
Stéphane Monnot
Detroit – La Cigale
Label : Barclay
Sortie : Novembre 2014