, , Sur le papier Vianney est une vraie tête à claques pour critiques hautains dans mon genre. Voici un garçon parisien, né dans les beaux quartiers de Paname, qui a fait l’école militaire de Saint Cyr, n’y a pas perdu sa raie sur le côté ni un côté un peu »esthète » précieux, qu’il a d’ailleurs mûri dans des études de stylisme. Puis il a sa voix avec son phrasé étrange, un soupçon grinçante, un peu de gorge, qui aurait pu s’il n’y prenait garde verser du côté de la plus abjecte »variété » sucrette (celle que le chroniqueur prétentieux n’écoute pas, en se pinçant le nez). Tous les éléments étaient réunis pour me faire jaser.
Oui mais voilà . Les critiques musicales ne se contentent jamais du papier, l’essentiel se produisant plutôt entre les oreilles. Pan dans ma poire!
Et au bout de deux écoutes, il faut reconnaître que si l’habit ne fait pas toujours le moine, il arrive parfois que le moine soit bien habillé. Vianney me fait ravaler dans le gosier les vannes un peu lourdaudes que je me préparais à décocher. Et je dois l’avouer: si la variété ressemble à Vianney, alors j’aime la variété.
Parce qu’il y a une évidence qui s’impose au fil des écoutes du premier album de ce vingtenaire: les idées blanches est un essai réussi. Le jeune homme arrive à y transcender l’objet »variétoche » auxquelles nos oreilles ont pris l’habitude d’accoler certains clichés.
Il y pousse le principe de la chanson d’amour, trope de la variété française, dans un univers où elle n’a pas l’habitude d’aller: celui du mot bien senti, de la sonorité de phrase qui joue à rebondir au gré des rimes internes des mots et des formules. Un peu comme dans la pop anglaise en fait. Il s’amuse à décrire bien, ce qui ailleurs n’est évoqué qu’en des poncifs de vocabulaire standardisés. Il se sert de l’histoire du genre, pour la glisser sur la frontière qui sépare la variété de la »nouvelle » chanson française.
Et puis, l’animal qui joue plutôt pas mal de la guitare acoustique est redoutablement doué quand il s’agit de pondre de petites bombinettes pop. Chacun des morceaux de l’album s’insinue dans le ciboulot, à force de gimmicks, de trouvailles rythmiques mais surtout d’une évidence mélodique qui force le respect.
Du coup, Idées blanches récemment en lice pour un prix aux Victoires de la musique, qui s’ouvrait dans mon esprit comme un étrange objet variété incongru dans le catalogue de Tôt ou tard, devient à mes oreilles un étrange objet variété tout court. Où les histoires d’amour se chantent du haut de leur juvénile interprétation, avec un langage que ne renieraient pas les auteurs de littérature, avec une musicalité des mots qui aurait sans doute fait sourire un Gainsbourg maître du genre. On citera ainsi ce »Labello La belle, la belle aubaine, Ce labello
Labello, Labello, Labello sur tes lèvres » ode à la vaseline buccale qui se joue des consonnes liquides et des asonnances de voyelles. Ou encore cette ode à l’amour intense, quasi Ronsardien sur la chanson d’hiver »De la Place de l’Etoile à la Place Clémenceau, Tissons nous une toile, s’envolera-t-elle bientôt ? Passerons-nous l’hiver, passerons-nous même lundi ? Même s’il y a plus d’hiver, on vit. Et si je t’offre pas de fleurs, C’est qu’elles seraient vexées, De n’être pas à la hauteur d’un rien de ton parfum, Et si je sais pas trop dire tout ça, Est-ce que tu m’en veux, parfois ?, « . Ou encore et pour finir avec l’inventaire des paroles, le jeu un peu narquois de fournir le titre sans doute le plus accrocheur, le plus primesautier, avec pour thème une rupture amoureuse violente, ou on a envie de crier à l’autre qu’on le déteste et qu’on lui enverrait des rats morts par la poste si on le pouvait ( je te déteste).
Les idées blanches est sans doute le disque le plus »facile d’accès » qu’il m’a été donné d’écouter ces dernières semaines. Ce qui ne veut pas dire, loin s’en faut qu’il a été facile à faire. Et le bonhomme rencontré sur le quai de Jemappes à Paris à l’occasion d’une session pour TV5MONDE, est à l’image de sa musique. Simple, avenant, sans prise de tête, mais farouchement impliqué et redoutablement travailleur. Un disque qui touche juste, large, sans avoir vraiment l’air d’y toucher. Un bel exemple de variété à la française.
Denis Verloes
Tracklist
Date de sortie: 20 octobre 2014
Label: Tôt ou tard / Warner