l’art du collage musical, version Romare, ou comment revisiter les grandes heures de la musique afro-américaine sans pour autant sentir la naphtaline.
Ils étaient faits pour se rencontrer, : d’un côté, Archie Fairhurst jeune musicien anglais surdoué plus connu sous le nom de » Romare, » en référence à Romare Bearden, artiste peintre, connu pour ses peintures et collages abordant la condition de la population afro-américaine dans les années 60/70. De l’autre, Ninja Tune, mythique label anglais ayant révélé nombre d’artistes (Amon Tobin, DJ Shadow, Mr Scruff) ayant pour point commun de mélanger avec une facilité déconcertante électro, hip hop ou encore breakbeat sous forte influence jazz. Leur rencontre, fruit d’une histoire de coeur plus que de raison, tant leurs univers respectifs ont tendance à se confondre, a donné naissance à un premier album nommé » Projections, « .
Ce dernier né, véritable conversation entre passé, présent et futur de la musique noire américaine, reste dans la continuité des 2 premiers EP de Romare, » Meditations on Afrocentrism, » et » Love Songs, : Part One, « . Composé comme un véritable patchwork mélangeant beats électroniques, samples variés (de musiques traditionnelles africaines aux voix mythiques de Nina Simone et Malcom X) et sonorités acoustiques (n’oublions pas que Romare est aussi multi-instrumentiste), » Projections, » remplit haut la main le cahier des charges voire le dépasse par instants.
A l’image du fascinant teaser vidéo qui accompagne la sortie de l’album (une vision accélérée de l’art de la récup dont fait preuve Romare pour réaliser lui-même la pochette de l’album à partir de photos découpées, devant nos yeux ébahis et au rythme de sa musique), le sujet du disque ne se limite pas aux simples hommages appuyés à ses illustres prédécesseurs même si plusieurs titres le laissent à penser ( » Nina.’s Charm, » pour Nina Simone,, » Ray.’s Foot, » pour Ray Charles (, ?), ou, encore » Jimmy.’s Lament, (Jimmy Scott, ?)).
Au contraire, Romare se tourne vers l’avenir en nous livrant plusieurs pépites sonores, : le très réussi » Roots, » avec sa house africaine au rythme endiablé ( » Roots, « ) ou encore la reprise de l’intouchable negro spiritual » Motherless Child, » pourtant déjà passée entre les mains d’artistes tels que Louis Amstrong ou encore Odetta. Le premier extrait de l’album, » Prison Blues, » avec son électro house jazzy, n’aurait pas fait pâle figure sur l’un des albums de Saint-Germain à la grande époque du label F-Communication. Pas franchement novateur, certes, mais terriblement efficace. On regrettera en revanche l’absence sur l’album de » Pusherman, » paru sur l’EP » Roots, » véritable chant vaudou qui nous ensorcelait avec son ambiance poisseuse et opiacée.
Malgré quelques faiblesses, en particulier une fin d’album moins convaincante avec des titres plus lents tels que » The Drifter, » et » La Petite Mort, » » Projections, » s’inscrit dans la mouvance des albums électro empreints de métissage culturel (l’Afrique pour Romare, l’Inde pour le » Sauvage, » de Fakear) qui ouvrent de nouveaux horizons à explorer à toute une génération de musiciens connectés et désireux de réinventer la musique contemporaine en confrontant un patrimoine musical précieux, aux sonorités urbaines d’aujourd’hui.
Julien Adans
Romare – Projections
Label : Ninja Tune
Sortie : 21 février 2015