D’emblée, clarifions les choses : non, le nouvel album de Cannibal Ox n’est pas La déception annoncée (comme voudrait vous le faire croire ce chroniqueur fourbe prêt à toutes les bassesses pour attirer le chaland) et oui, évidemment, il ne peut être que décevant.
Petit historique pour en comprendre l’aspect décevant : en 2001, soit un an et demi après la fin du XXème siècle, le 15 mai précisément, sort le premier album de Vast Aire et Vordul Mega (alias Cannibal Ox), The Cold Vein. Produit par El-P (fondateur de l’indispensable label Def Jux et membre de Company Flow), l’album fait l’effet d’une bombe dans le milieu de l’abstract hip hop voire du hip hop tout court : disque dense, intense, oppressant, bénéficiant d’une production chirurgicale, froide, The Cold Vein c’est une heure de plongée dans un New-York parano, violent et sérieusement flippant. Il contient son lot de classiques (Iron Galaxy, Atom, Painkillers, Pigeon) et bénéficie de samples particulièrement efficaces pour créer des ambiances suffocantes et maintenir l’auditeur dans un état de tension permanente; quelque part c’est un peu Unknown Pleasures et Closer appliqués au hip hop. Bref, The Cold Vein est ce qu’on peut objectivement appeler un classique instantané dont le rayonnement va bien au-delà de la sphère hip hop.
Après 2001, le groupe est laissé en jachère, les membres multiplient les side-project (The Reavers pour Vordul Mega , Mighty Joseph pour Vast Aire ainsi que des albums solos pour les deux) et, en 2011, El-P annonce sa dissolution en affirmant qu’il ne produira plus jamais Cannibal Ox. S’il n’avait pas tort sur ce point, déclarer la fin du groupe était quelque peu prématuré. En effet, un an après, ce sont les deux membres qui mettent fin aux rumeurs de dissolution en annonçant qu’ils sont prêts à retourner en studio. Ils publient un Ep en 2013 (Gotham) et annoncent, en janvier 2015, un nouvel album à paraître en mars.
Vous l’avez compris : Blade Of The Ronin est donc le second album de Cannibal Ox en quatorze années d’existence. Difficile alors de succéder à un chef-d’oeuvre sans être forcément décevant.
Bon maintenant on va s’attaquer au positif : ce retour de Cannibal Ox est, avouons-le, plus qu’honorable. Il faut juste faire le deuil de la tension, la parano ainsi que la production froide et redoutablement précise d’El-P. Puis accepter que le duo puisse faire un hip hop plus »commun » voire presque chaleureux. Une fois ces conditions assimilées, Blade Of The Ronin se révèle être un très bon album de hip hop, dense, varié et même par moment passionnant. Vast Aire et Vordul Mega élargissent leur palette musicale, délaissant le hip hop expérimental glacé pour faire un tour du côté des terres chaudes de la Soul (Blade) ou du dub (Sabertooth), marchant parfois sur les plates bandes du premier Mos Def (Thunder In July) ou encore Jedi Mind Tricks (The Power Cosmiq). Réchauffement climatique à peine croyable donc. Cependant, il ne faut pas croire que tout a changé chez eux. Le groupe, s’il fait preuve d’ouverture, n’est pas apaisé pour autant, loin de là . L’inquiétude, la méfiance demeurent présents, la parano reste tapie dans chaque recoin de l’album, prête à surgir au moment le plus inopportun. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les meilleurs morceaux de Blade Of The Ronin sont ceux où le groupe montre un visage flippé et tendu comme au bon vieux temps. Cannibal Ox parvient même, sur certains morceaux, à tutoyer l’excellence passée (l’épique Iron Rose, un peu surjoué mais très efficace, Carnivorous, comme sorti de The Cold Vein, Water, le lourd et presque indus Gotham sont les témoignages que le groupe conserve toute sa force de frappe).
Mais bon, avouons-le, tout n’est malheureusement pas de ce niveau. Outre des baisses de régime, on dénombre quelques ratés (Fire Rises, le dispensable Salvation, quelques instrumentaux), parfois trop d’emphase (The Power Cosmiq, Psalm 82) mais la production souple et féline de Cosmiq, ainsi que le phrasé inchangé du duo permettent justement d’amortir les chocs liés à certains égarements et au groupe de pouvoir retomber sur ses pattes. Au final il en résulte un album qui, sans avoir l’intensité ni la puissance de The Cold Vein, reste d’excellente facture. Un disque à l’image de sa pochette : celle d’un Ronin semblant avoir renoncé mais toujours sur ses gardes, méfiant et ce dans une ambiance plus chaleureuse, tranchant avec l’aspect futuriste et déshumanisé du précédent.
Et puis, entre nous, qui croyait qu’au bout de quatorze ans de silence Cannibal Ox allait sortir un album du niveau de leur précédent ? Bon ok, D’Angelo, l’an dernier, a prouvé qu’un artiste pouvait revenir à son meilleur niveau après une absence de quatorze ans, mais il reste l’exception qui confirme la règle (enfin presque : le retour cette année, après 17 ans d’absence, de Swervedriver confine lui aussi au miracle). Mais bon, à moins de croire aux licornes ou au père noël, personne jusque là ne s’y attendait. Alors ne boudons pas notre plaisir et saluons comme il se doit le retour à la vie d’un groupe laissé pour mort il y a quelques années : avec dignité.
Christophe CICCOLI
Cannibal Ox – Blade Of The Ronin
label : | IGC Records
Date De Sortie : le 03 mars