Peintre mexicaine de renommée internationale, Frida Kahlo demeure, soixante ans après sa mort, une véritable icône dans son pays. A travers ses toiles, l’artiste exprimait fortement son identité mexicaine dans un style inclassable, elle qui refusa toujours d’être assimilée aux surréalistes. Ce portrait mêle étroitement son parcours artistique, sa vie amoureuse et son rapport à la politique.
Malgré les apparences, ce roman graphique n’est pas vraiment une biographie dans la mesure où il est centré sur quatre années de la vie de Frida Kahlo. Ainsi, le récit débute par l’arrivée de Léon Trotski au Mexique en 1937, où il fut hébergé chez l’artiste et son ami Diego Rivera, jusqu’à son assassinat quatre ans plus tard. Étrange parti pris pourtant pas si incongru, étant donné la proximité idéologique de Frida avec cette éminente figure politique du XXème siècle. Non, ce qui est plus gênant, c’est l’introduction à mon sens complètement ratée, provoquant chez moi un certain agacement qui a sans doute pesé sur mon impression globale vis-à -vis de ce one-shot. Le ratage vient principalement de l’imbroglio narratif de ces premières pages dont on ne devine la finalité qu’après moult détours, imbroglio aggravé par l’absence de contextualisation historique (tout le monde ne connaît pas l’histoire du Mexique et son rôle dans les rapports Est-Ouest entre les deux guerres). Tout cela donne malheureusement le ton pour la suite du récit.
Jean-Luc Cornette a une fâcheuse tendance à abuser des ellipses. Cela produit une narration hachée et confuse qui finit par dissoudre l’intérêt que l’on aurait pu ressentir pour cette production. Du coup, les dialogues sont comme densifiés au détriment de la poésie, laquelle aurait dû selon moi embraser l’histoire. Le récit est très factuel, sautant d’anecdotes en anecdotes qui n’apportent pas grand-chose à ce qu’on sait déjà . Car en effet ce qui manque ici, c’est bien la flamme, dont ne manquait pas cette femme au caractère bien trempé, aimant la vie par chaque pore de sa peau, et pour qui l’art était la planche de salut de son petit corps malade.
A cet égard justement, apparaît un vaste trou béant dans cette évocation d’où je suis ressorti perplexe. Si le romanesque et la politique sont largement évoqués, on ne voit quasiment rien de la souffrance de l’artiste. Dès son plus jeune âge, Frida Kahlo était atteinte de la polio et d’une malformation congénitale qui la faisait boiter. En outre, comme si le mauvais sort s’était acharné sur elle, elle fut victime à l’adolescence d’un grave accident de la route lors duquel une barre de métal lui transperça l’abdomen, ce qui en plus de la faire atrocement souffrir, devait par la suite l’empêcher de procréer. Ignorer à ce point ce versant de la vie de cette femme paraît totalement incompréhensible, alors que celle-ci n’avait de cesse via sa peinture d’exprimer ses douleurs, tant physiques que morales. Bien sûr, cela ne l’empêcha pas d’avoir une vie sociale et amoureuse extrêmement riche, mais on imagine que cette amoureuse de la vie dût prendre beaucoup sur elle pour masquer son martyre.
Pour le reste, si le dessin manque parfois de fluidité, il reste adapté à un tel projet mais semble débordé par la profusion des personnages, que l’on a parfois du mal à reconnaître ou à différencier, et cela n’amoindrit en rien la confusion scénaristique évoquée plus haut. Pourtant, nul doute que Flore Balthazar a pris son travail à coeur, celle-ci étant même allé au Mexique en voyage préparatoire pour saisir les couleurs si particulières de ce pays. Et le résultat est plutôt réussi, c’est chatoyant et nuancé à la fois.
Mais au final, la déception a été à la hauteur de mes attentes. Trop peu de poésie, de rêve et d’émotion. Je n’ai jamais senti le piquant du piment mexicain dans cet ouvrage trop fade à mon goût et c’est bien dommage.
Laurent Proudhon
Frida Kahlo « Pourquoi voudrais-je des pieds puisque j’ai des ailes pour voler » ?
Scénario : Jean-Luc Cornette
Dessin : Flore Balthazar
Editeur : Delcourt
Collection : Mirages
128 pages – à 16,95 €
Parution : 18 février 2014