Effacer la mer, oublier les tourments, s’abandonner à la brise, partager l’instant, entrevoir l’espoir. Voilà le parcours de vie auquel vous convie en un instant Effacer La Mer d’Orso Jesenska, un des plus beaux disques du moment.
Dès les premières mesures d’Un Parfum et du chant a capella désarmant de nudité d’Orso Jesenska, on en est sûr : rien de mieux que la beauté. La beauté, la poésie… Non, ne fuyez pas, pas de raison d’avoir peur, la poésie n’a rien de solennel ou d’ennuyeux.
Cet album accompli, large ouvert et irréfutable comme un jour d’été, confirme le grand talent d’Orso Jesenska, déjà repéré sur son inaugural Un Courage Inutile d’il y a deux ans. De courage et de persévérance – comme celle qu’il fallut à son auteur pour voir concrétiser ce nouveau projet grâce aux efforts conjoints des labels 03h50 et Microcultures – il sera pourtant question sur ce disque somptueux irrigué par les éléments naturels.
Courage de s’éloigner des fantômes du passé (Et Nous Encore Vivants), affronter la vie (Vivre En Somme), s’autoriser l’espoir (Apaisement), dompter l’impermanence des choses (Les Vrilles De La Vigne).
Armé d’une production plus ample et propice à la liberté musicale, épaulé d’un quintet de complices musiciens de haute volée, Effacer La Mer déroule un paysage solaire, préférant l’esprit frondeur des chemins de traverse aux routes trop bien tracées.
Ne reniant aucunement les références littéraires et l’esprit poétique qui président depuis ses premiers pas à son inspiration, déroulant des textes justes superbes, notre outsider Orso réinvestit avec limpidité l’ombre lyrique de Léo Ferré, la gravité folk de Leonard Cohen, l’esprit ludique de Holden ou Bertrand Belin, l’aspiration au silence de Mark Hollis. Faisceau d’influences revendiqué clairement par l’artiste et qui, s’ils permettent de visualiser son univers, ne le réduisent jamais à ce seul cadre.
Placée au centre du bel écrin musical tissé par ses compères (guitares géniales de Mocke du groupe Holden, percussions joueuses de Thomas Belhom, basse free jazz de Bobby Jocky, vocaux ourlés de Marianne Dissard, ondes Martenot magiques de Christine Ott), la voix d’Orso Jesenska se permet mille sentiments, tour à tour intime, grave, langoureuse, rêveuse.
Un véhicule émotionnel imparable – humain, si humain – pour visiter avec bonheur les multiples perles déposées tout du long de ce disque habité et fraternel.
Rivages graves de l’hiver intranquille (Exilés, Effacer La Mer), sentiers remplis d’espoir de l’été (Paroles, Tempête), pauses méditatives automnales à deux voix (Vivre En Somme, L’Ombre Descend) : Effacer La Mer est de ces disques-mondes dont l’auditeur ne saura définir ses instants préférés, qui varieront selon les couleurs changeantes du jour.
On se permettra juste de noter comme tellement logique l’émouvante reprise du Palabras Para Julia de Paco Ibañez, trois minutes de beauté tragique aux accents d’espoir fragile. Un compagnonnage spirituel d’une belle grandeur, résumant comme la quintessence de ce disque lumineux.
Effacer La Mer invoque l’espoir, fraternise avec la fragilité, pactise avec l’été, invente la beauté, courtise la liberté. Et dessine surtout des horizons.
L’horizon d’un certain courant de la production française, exigeante et talentueuse, dont il est déjà le parfait mètre-étalon. Et dessine enfin l’horizon d’Orso Jesenska, largement ouvert et riche de mille possibles. Cet horizon n’attend que vous.
Franck ROUSSELOT