Chercher l’Italie, pour Yannick Haenel, c’est chercher un remède à l’ignominie contemporaine, à la déliquescence du politique, à la violence, au cynisme et à l’état de crise permanent que génère le système capitaliste.
Je cherche l’Italie, voilà un titre pour le moins poétique, qui sonne comme une invitation au voyage, à la déambulation, à la découverte des paysages toscans et des chefs-d’œuvre des maîtres de la Renaissance. Pourtant, si Yannick Haenel décrit, commente, et se plonge corps et âme dans la beauté qu’offrent la culture et les territoires italiens, ce récit a également sa face sombre. Car, dans le sillage des Renards Pâles, où il imaginait une révolution anarchique, poétique et utopique dans Paris, sous le signe des divinités ancestrales dogons, Yannick Haenel prolonge sa réflexion sur le champ politique actuel, qui s’avère foncièrement ruiné, nihiliste, en proie à l’infamie.
Le dernier opus du romancier oscille donc entre jouissance et entrave, extase et destruction, liberté et extermination. Ou entre ange et démon, puisque la dimension politique du livre se double d’une évocation du sacré, suivant les inspirations de Georges Bataille et les questions du sacrifice, de la sainteté. Demeure-t-il quelque chose d’indemne dans un monde contemporain en proie à l’horreur économique ? Telle semble être la lancinante problématique sur laquelle bute Haenel, qui avoue avoir été profondément marqué, lors de la rédaction de son livre, par le naufrage de Lampedusa où plus de 300 migrants clandestins trouvèrent la mort.
Installé avec son épouse italienne à Florence pendant quatre ans, de 2011 à 2015, Yannick Haenel ne déroule pas Je cherche l’Italie comme un roman, mais bien plutôt comme un récit. Exit donc la figure de son anti-héros et double, Jean Deichel, dont on suivait les évolutions et les péripéties dans ses précédents romans. Son œuvre se fait alors moins narrative, plus introspective. Yannick Haenel déploie davantage son écriture autour de sa propre personne et de l’état de crise dans lequel il concède se trouver, cherchant un remède à ses maux et à ceux de l’époque.
Chercher l’Italie c’est donc chercher un remède à l’ignominie contemporaine, à la déliquescence du politique, à la violence, au cynisme et à l’état de crise permanent que génère le système capitaliste. Yannick Haenel nous livre alors des pages extrêmement sévères sur nos sociétés européennes, où la figure de Berlusconi émerge comme un démon destructeur enfonçant son pays dans la ruine, aspergeant le monde d’excréments.
De son côté Yannick Haenel demeure comme à son habitude en quête d’extases, de jouissances et d’illuminations. Chercher l’Italie, c’est donc aussi se lancer à la recherche d’expériences intenses et lumineuses, que seul rencontre celui qui sait se rendre disponible, le cœur solitaire, ouvert et limpide, prêt à accueillir les merveilles du monde de l’art, du langage et de la littérature – et surtout, à les éprouver à fond. Par là, le récit de Yannick Haenel fonctionne comme une littérature de la référence, et nous renvoie sans cesse vers des sources artistiques, picturales, sacrées ou littéraires qu’il commente, reprend et ressasse constamment.
François Salmeron
Je cherche l’Italie
récit de Yannick Haenel
Éditions Gallimard
200 pages – 17,50 Euros
Sortie : 5 février 2015