Roberto Saviano tire le fil qui l’a mené du roman de 2006 sur la mafia napolitaine, au film éponyme primé en 2008. Cette fois, la camorra est évoquée dans une série de 12 épisodes produits par Sky Italia avant diffusion sur Canal+
Réalisée par Stefano Sollima, qui a signé Romanzo Criminale au cinéma, la série dont la diffusion a commencé en janvier 2015 sur Canal+ sera bientôt reprise par Arte pour une diffusion en clair, après les abonnés.
Roberto Saviano qui a participé à la rédaction du scénario de la série, décide de composer une fiction qui se nourrit d’une multitude d’éléments réels ou réalistes, glanés dans son travail de journaliste sur la mafia napolitaine. Un travail méticuleux qui lui a valu les foudres du système napolitain: il est encore aujourd’hui sous protection policière, après qu’un contrat court sur sa tête, promulgué par les barons de la pègre pour le faire taire.
Un scénario dans la grande tradition du « film de mafia »
Le scénario est simple. Le spectateur rentre dans l’intimité d’une « famille »: celle de de Don Pietro Savastano, la grosse cinquantaine, baron local de la pègre, régnant sur le business interlope de plusieurs quartiers de barres d’immeubles de Naples. La série débute sur un différend qui va rapidement tourner en guerre entre les clans Savastano et Conte. On comprend rapidement que la première famille règne sur le contrôle des quartiers, tandis que la seconde gère l’approvisionnement en héroïne et haschisch. Au milieu, il y a une zone floue, soumise à la convoitise: la maîtrise de la distribution dans les quartiers.
Voilà pour le décor de l’histoire. Mais Gomorra est aussi une galerie de portraits de famille. On découvre Ciro di Marzio, la petite trentaine, lieutenant de Don Pietro et ami depuis son plus jeune age du rejeton Savastano, post adolescent gâté et peu intéressé par la gestion quotidienne du business familial dont il préfère l’usufruit. Ciro constate un Don Pietro vieillissant et s’inquiète de savoir si Genni, le fils Savastano est vraiment le plus qualifié pour diriger le clan quand Don Pietro passera la main. Au milieu de la guerre des clans, les réflexions, les tentations et les volte face de Ciro et de la famille font comme une sorte de tragédie grecque interne. On sent que ça va mal finir mais on ne sait pas comment.
La première saison diffusée actuellement sur Canal pose le décor et s’intéresse particulièrement à l’évolution des relations entre le fidèle lieutenant Ciro et son protégé Genni, dans une organisation patriarcale menée d’une main de fer par Don Pietro et son cénacle d’anciens, fidèles dont la matriarche Immacola.
Une forme moderne et riche des enseignements des séries américaines récentes.
Autant le dire tout de suite, Gomorra malgré mes réticences neuneu du genre « ah ouais l’autre il sort une ènième succursale de son coup littéraire d’il y a dix ans » m’a scotché tout au long de la première saison. Le scénario est bien ficelé, on y repère pas les coutures au fil blanc, l’unité de temps et de lieux est parfaite, même jusqu’à l’évolution psychologique des personnages qui semble totalement crédible.
On est dans une série européenne. Et étrangement on ne s’en rend pas compte. Ces dernières années, les séries européennes ont souvent brillé par leur ambiance étrange: Revenants, Bron (Tunnel) pour n’en citer que deux, cherchent le décalage faute d’arriver ou de vouloir jouer avec les codes de la série américaine qu’on bouffe pourtant dans notre petit écran depuis plus de 40 ans.
Je ne sais pas comment l’équipe de réalisation s’y est prise, mais tout: du scénario, au rythme, en passant par les dialogues et le montage, rappelle les réussites récentes dans un genre pas si éloigné, qu’ont été The Wire ou Oz par exemple. Il y aurait même à mon sens une vraie étude des similitudes et distinguos culturels entre la narration de la pègre des quartiers de Baltimore dans The Wire, et ceux des quartiers de Naples. Il faudrait regarder le traitement des personnages évolutifs dans l’une et l’autre série, pour se rendre compte que les deux arrivent à nous rendre sympathiques, à nos éthiques défendant, les pires salopards, au point qu’on se fait un formidable « binge watching » des 12 épisodes que la chaînes cryptée a mis à la demande.
Il y a ensuite, notable, le rythme. Qui fait prendre un sacré coup de vieux aux productions françaises policières ou politiques même les plus réussies, de type engrenages. Gomorra la série est faite de mouvements, multiples, rapides, et de dialogues aussi simples qu’efficaces. On est en Europe, mais on est jamais verbeux, jamais irréaliste, toujours avares de tirades. On sent que Gomorra n’échappe pas à tous les clichés de jeu des acteurs « façon mafia », popularisée par la série des Parrain et des Godfellas, mais l’ensemble brille par une économie de jeu, et un efficacité indéniable du casting.
Marco D’Amore qui incarne Ciro, crève l’écran, avec son faux air de Johnny Depp sans cheveux. Salvatore Esposito qui incarne Genni Savastano est bluffant, tant la psychologie et même le physique de son personnage est amené évoluer au fil de cette première saison. Don Pietro et Immacola sa femme censés incarner les personnages de tête, du coup, sont plus évanescents. Mais au vu du final de la saison, on imagine que ceci n’est qu’un préambule.
Enfin, il y a le décor. Si Gomorra ne doit rien envier aux séries de genre américaines récentes, elle acquiert un plaisir particulier pour le spectateur européen: Naples, Barcelone, le sud de la France, parcourus par les personnage de cette série, sont immédiatement reconnaissables. La photo est toujours intéressante. Et le quartier de Scampia près de Naples, plus encore que le Baltimore de The Wire, apparaît comme un véritable personnage à part entière. Le choix de représenter la misère par ses lieux emblématiques, la décision de tourner dans une maison réellement saisie à la mafia apportent un supplément d’âme qui font qu’on se sent très très proche de la série. Les gens nous ressemblent, on connaît les lieux, on se projette forcément dans les gens, les petites rues, les barres d’immeuble, et même dans le matériel (voitures, scooters, télé…) qu’ils utilisent.
Puis comme une cerise sur le gâteau il y a la langue. Ce parler napolitain qui élide toutes les fins de mots ou presque. Même quand elle chante la mort, la langue italienne chante. Et ce n’est pas un des moindres plaisirs de la série que de se laisser porter par le parler napolitain, comme la comparaison entre les deux bandes annonces que je glisse ci-dessous, tend à le prouver j’espère et vous évitera la purge de la version française.
Bref… Tu l’auras compris, lecteur, je suis conquis. J’ai bouffé les douze épisodes comme rarement une série ces derniers temps, et il me tarde de me replonger dans la suite annoncée en fin 2015 (il paraît que le scénario de la 3 est déjà en partie commencé) . Chic.
Denis Verloes
Titre original : Gomorra – La serie
Création : Roberto Saviano, Giovanni Bianconi, Stefano Bises, Leonardo Fasoli, Ludovica Rampoldi
Réalisation : Stefano Sollima, Francesca Comencini, Claudio Cupellini
Pays d’origine : Italie
Société de production : Sky Atlantic (it), Cattleya (azienda) (it), Fandango (en collaboration avec Beta et LA7)