Le bonheur c’est encore -rarement- ça : se procurer un album au gré d’une chouette critique lue dans un mag ou sur un blog. Découvrir un joli boîtier noir, un disque noir, le lancer sans avoir de référence. Et se laisser happer dans un univers où on a tout à apprécier
Je n’ai jamais trop suivi ce que faisait Dean Blunt quand il travaillait avec Inga Copeland dans Hype Williams le groupe arty Berlino Londonien. Je l’ai découvert en préparant cette critique. Et en fait, je suis content. Parce qu’il y a une filiation évidente entre Hype Williams et Dean Blunt, voire même entre Dean Blunt et Dean Blunt puisqu’il a fait paraître déjà The redeemer et The narcissist II, en guise de carte de visite inaugurale. Je suis content de les avoir découvert à postériori, parce qu’ils sont beaucoup moins aboutis que Black Metal.
Or voici que déboule Black Metal. Qui en fait n’a vraiment pas grand chose à voir avec du black metal. Sinon, il me faudrait admettre que j’aime enfin le black metal. Un album qui dans son énoncé contient déjà les germes du beau bordel de sens qu’il renferme. Black Metal est un titre provoque, comme semble l’être le bonhomme connu pour quelques interviews perchées mais surtout pour ces sets barrés, bien « segmentant », où ces claviers et sa mise en scène poussent l’auditeur dans ses derniers retranchement.
Black Metal donc, n’est pas un disque de Black Metal. Il comporte une chanson punk, une chanson country, et une heavy… Dont tu imagines bien lecteur, qu’aucune d’elle ne ressemble à son énoncé.
Oui mais alors c’est quoi cet album concept ? Étrangement sans doute une version plus abordable du travail solo de Dean Blunt, ou en tous cas une version qui tolère , un peu, de facilité pop dans un monde de recherche pointue. (Si tu as jeté un oeil à la vidéo que j’ai incluse, je ne suis pas sûr que tu imagines biens que le disque est largement plus abordable).
L’homme se joue des étiquettes, et même de l’atmosphère globale au sein d’un même disque. Plus accueillant que ses précédents essais, Black Metal semble démarrer comme un disque de pop influencée par les groupes twee du milieu des 90’s. Lush, 100 cent et blow dansent sur la corde raide entre ingénuité et un brin de mélancolie façon Felt. Oui mais tu ne clos pas cette séquence par inadvertance (le principe de l’album, le CD, qu’on écoute religieusement comme une progression sonore, prend ici tout son sens) en samplant les Pastels, sur lesquels tu ajoutes une grosse réverb’, un traitement plus imposant des graves et un tempo plus ramolo porté une voix qui doit autant au flow de la new wave qu’à la pop de l’époque….
Il souffle sur la première partie de l’album comme une volonté d’apparaître enjoué, avec une mauvaise volonté tellement évidente, que le bonhomme arrive à transformer la pop en un cross over quelque part aux confins du trip hop et de la folk. Passionnant.
L’électronique se taille la part du roi, derrière cette entame, liée à la précédente salve par cette réverb’ vraiment caverneuse, et la voix un peu atone du bonhomme. Les machines viennent, oui, mais il reste quelque chose de cette folk-trip hop . Blunt, brouille les pistes. En tirant le fil de la folk il donne même à voir son versant Hazlewood / Sinatra, sur un Molly & Aquafina réverbéré, à deux voix.
Ensuite, nouveau hiatus. Le bonhomme nous donne 13 minutes d’électro influencée par le trip hop des débuts, en un forever de 13 minutes qui rappelle les compiles de Give ’em enough dope ou un lointain cousin de Guru’s Jazzmataz.
Moins Jazzy, plus « machinique » les 6 titres suivants font la part belle au beat complètement syncopé, mâtiné de grosses nappes de claviers…. Et toujours de cette grosse réverb’. Plus sombre aussi, cette partie est vraiment atmosphérique. On songe parfois à Future Sound of London des nos années ’90, ou aux obscures rengaines portées par la voix flippante de Tricky au début de sa carrière. La voix de Dean Blunt est d’ailleurs comme la main qu’on serre fermement pour voyager dans la pénombre, pas vraiment rassurante par son timbre, mais comme une présence un peu réconfortante.
Passionnant voyage dans un genre pas folk pas pop, pas rap, pas électro, pas trip hop (j’aime bien les cuivres et les cordes qu’il glisse de ci de là pour augmenter le côté sombre sans avoir l’air d’y toucher, pas country, pas enjoué, pas morbide. Mais qui tient de manière étrangement cohérente aux confins de la mélancolie et de l’écorchure.
Disque concept, il est de ces albums qu’on admire parce qu’ils poussent la recherche musicale un cran en avant. Je dis ça et c’est marrant parce que je pense que j’ai du avoir le même type de réaction à l’écoute de Xiù Xiù, Ariel Pink, ou TV on the radio quand ils ont déboulé avec leurs premiers essais. Ce n’est pas le premier de Dean Blunt. Le petit moment où classer est impossible, où tu sais que tu viens de toucher de l’oreille un disque « qui compte » et que tu te trouves bien en peine de critiquer en des mots vraiment compréhensibles.
Denis Verloes