Ce nouveau roman d’Alain Guyard n’est pas seulement une épopée picaresque, sociale et drôle, c’est aussi un véritable cantique révolutionnaire qui chante la misère des gueux écrasés par ceux qui possèdent.
La soudure c’est l’artiche, la fraîche, le flouze, le pèse, la thune, le blé, le pognon…, tout ce qui manque à Ryan dès le 10 du mois pour assurer ses fins de mois et subvenir aux besoins de Cyndi, la nana ravagée par la came qu’il a épousée par amour sincère mais aveugle. Ryan, enfant de l’Administration pénitentiaire plus que de l’Education nationale, gagne minablement sa vie entre petits boulots et petites arnaques, insuffisamment pour donner les moyens à sa femmes de poursuivre la fabrication de ses horribles oiseaux en ferraille qu’elle soude à longueur de journée, pour lui acheter les médicaments dont elle a besoin pour combattre sa stérilité et pour lui offrir les quelques petits plaisirs qu’il voudrait tellement lui procurer.
Alors malgré sa répugnance pour la chose, il accepte de plonger dans de minables petites combines en association avec des manouches rompus à ces pratiques, mais le vol de voitures de pauvres ne le satisfait pas longtemps, il veut voir plus grand, ne plus être un pauvre qui lèse les pauvres, il veut entrer dans l’aristocratie de la carambouille en volant les plus nantis et notamment leurs prestigieuses voitures. Pendant qu’il vole, sa femme, Cindy, soude à longueur de journée des plaques sur une balandre qu’un vieux capitaine de la marine marchande cherche à restaurer pour naviguer sur les traces d’Ulysse car le marin est aussi un fin lettré qui connait ses classiques grecs sur le bout de la langue et des doigts. Il réussit même à convaincre Ryan et certains manouches à la lecture des auteurs classiques, ils deviennent ainsi des aristocrates cultivés de la fauche et de l’arnaque. Les petits loubards incultes devenus philosophes de l’embrouilles trouvent ainsi une nouvelle motivation à leurs répréhensibles justes actions : « On va piller humaniste mon pote !… aider les gens à lâcher prise en les détachant de leurs bien de ce monde ! ». Ils veulent continuer leurs trafics en le justifiant par la lutte contre la propriété mère de tous les vices, selon eux.
Évidemment cette épopée des temps modernes, dans la marge de la société, comporte les mêmes aléas que toutes celles que l’histoire a connues depuis l’antiquité et que le vieux capitaine ressasse régulièrement : les faits d’armes glorieux précèdent souvent les grandes débandades et vice-et versa. Notre petite troupe n’échappe pas à la règle et Cindy telle l’Hélène de la marge est convoitée par des amoureux rivaux, prêts à déclencher une nouvelle guerre de Troie dans les banlieues et environs de Nîmes.
Ce texte est grand, Guyard est un auteur flamboyant, un révolutionnaire, un anarchiste, mais un grand esthète de la phrase, son texte est littéralement jubilatoire, les raccourcis sont fulgurants, les images sont désopilantes, les métaphores sont somptueuses, l’argot et le jargon sont distillés avec une grande justesse dans un texte d’une poésie ravageuse et tendre selon les épisodes. Il y a des pages magnifiques dans ce texte, même si quelques poncifs surannés sont restés cachés dans certains propos politiques. Guyard possède une grande culture classique et il a lu les pères en matière de d’argot et de marginalité, son texte doit un peu à Frédéric Dard, les histoires de sexes en moins, mais aussi à Blaise Cendrars, à Jean Genet, et aussi à Michel Audiard et à Antoine Blondin et certainement à d’autres encore mais je crois qu’on peut ranger son livre sur le mêmes rayons que les œuvres de ceux-ci, ils feront certainement très bon ménage et riront beaucoup ensemble.
Toutefois, le texte de Guyard n’est pas seulement une épopée picaresque, sociale et drôle, c’est aussi un véritable cantique révolutionnaire qui chante la misère des gueux écrasés par ceux qui possèdent, et qui les invite à se rassembler pour former une cohorte prête à prendre la mer pour changer la société, pour donner une nouvelle chance à ceux qui n’ont pas eu le bonheur de naître et de vivre sur la terre de leurs pères et qui pourtant font beaucoup d’effort pour se faire accepter dans leur nouvelle patrie. « Il s’applique à toujours mieux s’intégrer dans la société française : il croit dans le Dieu des chrétiens, fait des enfants à sa femme, mange au McDo, supporte l’OM, cherche à gagner toujours plus d’argent et gruge son prochain dès qu’il le peut ».
Un texte très politique, une ode à l’anarchie, un plaidoyer contre une société policière et répressive, dominée par ceux qui possèdent et font tout pour faire fructifier leurs avoirs pour avoir encore plus. Guyard emprunte à Chamfort une citation qu’il met en exergue de l’un de ses chapitres, moi j’en ferai ma conclusion : « En voyant quelquefois les friponneries des petits et les brigandages des hommes en place, on est tenté de regarder la société comme un bois rempli de voleurs, dont les plus dangereux sont les archers préposés pour arrêter les autres » (Chamfort – Maximes et pensées).
Denis Billamboz
La Soudure
Roman français de Alain Guyard
Editions Le Dilettante
224 pages – 18€
Parution : 8 avril 2015