Diffusées récemment sur Canal +, les deux séries « real politics made in USA » connaissent un succès international, et restent également parmi les séries les plus vues/piratées sur le Web. En plus des qualités intrinsèques de chacune des deux productions, il paraît intéressant d’évoquer de quelle manière, en flirtant avec un contexte économique et politique existant, elles deviennent un miroir à peine déformant d’une réalité qui effraie et fascine ses téléspectateurs. Fiction-réalité : frontière mince pour deux visions différentes de l’empire politique US dans le monde.
Homeland d’abord
Difficile de se relever d’une saison 3 qu’on aura classée comme ratée, en fait. Simplement et complètement ratée, malgré un final assez glauque, censé relancer une attention qui n’aura eu de cesse de s’effondrer. Mais au contraire, tel le Sphinx blabla…, Homeland saison 4 devient très rapidement, au fil des épisodes, la petite drogue télévisuelle et hallucinante dont on a du mal à se passer, comme sur sa première saison. Le personnage principal, Carrie Mathison, redevient l’agent de la CIA, bipolaire et toujours à cran, prête à tout pour arriver à ses fins afin de servir sa cellule, son pays, son sens du devoir aux abois. A nouveau, l’action prend son temps pour diffuser l’ampleur du thème, le temps d’une remise à zéro nécessaire et démarrée à la fin de la saison 3, couplée à une reconstruction personnelle de la part de l’héroïne.
Ce qui surprend cette fois, outre un rythme rappelant davantage 24h chrono dans le dénouement de la saison que « l’inspecteur Derrick en Iran » précédemment, c’est le contexte politique du sujet, évoquant de manière troublante l’actualité internationale section « relations de paix et terrorisme » : ici, l’Iran a cédé la place à une lutte musclée contre la présence des Talibans au Pakistan : drone américain touchant des civils à Islamabad, poursuite du chef terroriste au prix d’attentats sanglants, représailles violentes contre la CIA américaine… L’atmosphère oppressante, la véracité du propos – notamment confirmée par de vraies cellules anti-terroristes sur les modalités des opérations, le choc de scènes ultra-réalistes et sans concessions, tout donne un sentiment de miroir très peu déformé et « fictionné » de ce que peut être l’organisation réelle d’opérations sur le terrain. Adhésion logique et immédiate du téléspectateur face à ces épisodes, serrés, nerveux, épuisants, tant la traque des « méchants » (mais qui ne l’est pas, réellement, dans cette série ?) et le jusqu’au-boutisme de Carrie deviennent des adrénalines dont on peut difficilement se passer.
Et, par delà les enjeux fictionnels – est-elle une femme entièrement et trop dévouée à la cause antiterroriste jusqu’en devenir folle ? Est-elle une jeune maman qui prend conscience qu’elle ne peut clairement élever un enfant ? – se posent également les enjeux thématiques et narratifs : à quel point les scénaristes se posent en fins témoins d’une politique extérieure américaine à fleur de peau ? Peu contestée (sauf sur l’image un peu niaise des Pakistanais), la série marque-t-elle les esprits de ses spectateurs quant à l’état des relations USA-Pakistan (et par extension les pays où se jouent les problèmes terroristes actuels) qui s’apparentent à l’énervement, l’exsangue et l’impasse la plus totale ?
Pas de super-héros ici, pas de grand vainqueur ou d’impérialisme réac. Dans Homeland, tout le monde perd un peu finalement : des fuites et des blocages, des actes manqués, des morts, des remords, jusqu’en perdre la raison et l’amour. Et parce qu’elle va jusqu’au bout, parce qu’elle agace et exténue, tout en nous offrant moment hallucinants et bad trip glauque, telle une mauvaise drogue dure, Homeland est redevenue une grande et nécessaire série.
House of cards ensuite
Dès le départ de cette troisième saison, c’est la déception. Et c’est normal, et le concept en est même brillant : Frank Underwood, le « Prince » de Machiavel version US XXème siècle, est passé de gouverneur à président de la plus grande des nations en deux saisons, brûlant les étapes tel un arriviste cynique et calculateur capable souvent du pire pour écraser sur son passage et accéder au stade ultime d’une ascension programmée. De fait, au plus haut des trônes possibles, le roi attend. Et nous patientons donc, forcément, spectateurs fascinés de ce Bel-Ami politique qui nous prenait à parti face caméra en nous forçant à accepter ce qu’il était capable de faire, avec derrière, tapie dans l’ombre, sa femme Claire, aussi perfide et stratège que lui mais sous de doux contours féminins parfois inaccessibles, mystérieux, excitants. Plus d’enjeu pour les deux personnages, et donc plus d’enjeu véritable pour la série, a priori…
Sauf que les scénaristes (et Fincher) ont dû bien évidemment lire Machiavel, qui dans son ouvrage, propose conseils et avis éclairés pour écraser ses pairs afin d’arriver au pouvoir, mais aussi et surtout pour y rester, et conserver son pouvoir, son aura, aussi longtemps que possible. Et c’est donc dans cette troisième saison, finalement une des plus intéressantes dans sa manière d’observer et démonter rouages politiques et rouages sentimentaux du couple, que l’on verra le couple présidentiel Underwood se confronter aux problèmes internationaux à gérer du mieux possibles, aux attaques « d’en bas » à freiner du haut de son nuage de pouvoir qui n’est jamais éternel, ménager la chèvre et le chou pour rester un homme exécutif sans concessions mais aussi un président médiatique, humain, aimant, un président des affaires mais aussi des gens, un homme à portée historique, mais également et enfin un personnage qui se doit d’être populaire. Et c’est surtout, dans cette saison, que les personnages, enfin « posés », se mettent à douter, à se remettre en question, comme si cette trop rapide ascension les avait égarés de ce qu’ils étaient vraiment, ou du moins, ne leur avait pas permis de se dévoiler la face et de se regarder enfin dans un miroir.
Du coup, cette saison lente, avec des trouées dans le rythme et la progression scénaristique souvent désarmante et étrange, devient en même temps passionnante, tant elle confronte des situations politiques tendues et extrêmement réelles – relation USA-Russie dégradée suite à actes homophobes et manifestations médiatiques des FEMEN, crise au Moyen-orient avec attaque de rebelles et morts civils qui amène une aversion du public contre l’armée et le pouvoir en place, etc… – à une crise également du couple qui s’enlise un peu, trop installé peut-être et qui devient du coup fragile sur ce qui avait fait leur force. Avec par ailleurs la place de plus en plus prépondérante de la First lady, jouée avec toujours autant de classe folle par la brillante Robin Wright, proposant peut-être le personnage féminin le plus intense des séries actuelles.
Finalement, le paysage de la politique américaine est définitivement empli de contrastes, à l’image de ces deux séries qui incarnent de manière de plus en plus troublante la réalité du terrain international (Homeland) comme des enjeux stratégiques à l’ombre de la Maison Blanche (House Of Cards) avec une véracité incroyable. Et, à l’image de cette fin d’épisode de HOC où des images d’information sur les manifs des FEMEN russes se mélangent à une intrigue fictive très « guerre froide », c’est à se demander qui s’inspire le plus de l’autre au bout du compte, entre les scénaristes de ces deux séries et les personnalités politiques actuelles. Terrorisme, relations internationales, ONU, armée, CIA : depuis 24 heures chrono où l’action prenait trop souvent le pas sur le propos, jamais les USA n’ont à ce point approché le contexte international politique et militaire d’aussi près, aussi fort, presque dangereux tant il annonce parfois les événements les plus tragiques (attaque-éclair sanglant d’une cellule pakistanaise de la CIA au moment de l’attentat réel des locaux de Charlie Hebdo, l’incarcération homophobe d’un ressortissant américain gay en Russie au moment des répressions anti-gay menées par Poutine dans son pays….).
La « real-fiction » après la « real-politik » : encore une manière de signifier, pour ceux qui ne l’auraient pas toujours compris, que les séries TV deviennent un enjeu fictionnel médiatique inédit et important, presque au-delà du divertissement de base qu’elles demeuraient à leurs débuts. Passionnant et à suivre, donc.
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Jean-François Lahorgue
Homeland – saison 4
12 épisodes
Série (USA) de Howard Gordon et Alex Gansa (depuis 2011)
Avec : Claire Danes, Mandy Paitikin
Genre : Thriller, drame
Format : 55 minutes
Diffusion : Showtime (USA), Canal + (France)
House of Cards – saison 4
13 épisodes
Série (USA) de Beau Willimon (depuis 2012)
Avec : Kevin Spacy, Robin Wright
Genre : Thriller, politique
Diffusion : Netflix (USA, France), Canal + (France)