Disque impatiemment attendu, le retour de The Apartments s’avère bien un des immanquables du printemps. Douloureuse et élégiaque, la recherche du temps perdu de Peter Walsh confirme la classe intemporelle de son talent. Must have/listen to.
Dans la lignée des «disques tellement attendus qu’on redoute soudain de les écouter une fois arrivés», comme dit récemment, ce nouvel album de The Apartments n’avait pourtant aucun risque de décevoir les espoirs placés en lui.
De par son existence même No Song, No Spell, No Madrigal est déjà une joie, carte postale extraite avec bonheur de l’absence et du néant dans lesquels s’était retirée la formation australienne.
Comme subitement revenu au monde des vivants, Peter Milton Walsh réinvestit notre espace et donne les plus beaux signes de vie, artistiques et humains. Rompant un silence de dix-huit ans ce cinquième chapitre qui doit son existence à son auditoire français et aux efforts du désormais indispensable label Microcultures, brouille les repères du temps et réactive la dimension intemporelle, dès ses débuts, des chansons du créateur australien.
Qu’importe la date à laquelle on ait croisé la route de The Apartments, leur musique s’octroie d’elle-même une place d’honneur dans notre panthéon intime, comme une vigie secrète et bienveillante.
Groupe rare et fragile, salué par ses pairs musiciens et ses admirateurs restreints mais fervents, marqué par l’insuccès public et la malchance du songwriter Walsh, tous les indicateurs étaient en place pour conférer à défaut de gloire ou réussite le statut de culte à un groupe cruellement jamais en phase avec son époque.
Dérisoire trophée de perdant magnifique volé à l’histoire et accordé au capitaine Walsh, premier compagnon d’armes des Go-Betweens, chanteur au timbre dylanien doux-acide entre Mike Scott et Scott Walker, parolier à la vision du monde mélancolique et prémonitoire.
Disque d’hiver existentiel, tombeau musical dressé à la mémoire du fils aimé disparu, No Song, No Spell No Madrigal a beau marteler l’irrémédiabilité de la perte, l’oubli impossible et les promesses d’espoir évanouies (« Didn’t I promise you that one day I’d take you away to New York? / Whatever happened to the promise? Whatever happened to the time? « ), c’est par la lumière grise irisée qu’il jette sur le chaos de l’existence, la paradoxale force de vie que représentent ces huit compositions rescapées des gouffres du chagrin que cet album touche et émeut.
Grave mais digne, profonde mais pudique, la musique retrouvée de ce maître en songwriting, frère d’âme des Forster–McLennan (Go-Betweens) ou Paul Buchanan (The Blue Nile), embrasse cordes et cuivres élégiaques (Looking For Another Town), enrobe la nostalgie d’arrangements élégants (Black Ribbons, Swap Places), sublime la douleur de couleurs flamboyantes (Twenty One, hommage filial direct et sommet douloureux et magnifique au crescendo émotionnel final poignant).
Dans cet écrin délicat façonné par le producteur Wayne Connolly, entouré d’une garde rapprochée d’ami(e)s dont l’historique Amanda Brown des Go-Betweens, le gentleman Walsh de sa voix fougueuse de conteur enflammé, rude et douce, et armé de textes de haute volée (« The past is just a door I don’t go through »), renoue avec la mélancolie douce-amère qui présida dès leurs débuts aux pas de The Apartments. Désillusion crépusculaire, lucidité cruelle et romantisme indéracinable continuent d’y battre à chaque couplet, chaque mélodie, chaque vers.
« As your songs floats down / Over the town » répète à l’envi le refrain de Black Ribbons que la voix printanière de la française Natasha Penot emmène du côté d’une pop façon Pastels quand la gravité de The House That We Once Lived In se rapproche de la beauté tragique des meilleurs titres de The Blue Nile. Chose vraie que « cette chanson qui flotte sur la ville » car dans chaque sillon, chaque seconde, chaque souffle de ce disque tant attendu et inespéré à la fois, se révèle la grandeur et le talent exceptionnel d’un artiste solitaire mais central.
Plus que le cliché de l’artiste maudit auquel il a toujours été paresseux de le réduire, l’art de Peter Walsh est surtout celui d’éclairer la réalité, affronter les vides, relire et revivre le passé. Tout en sachant la chose foncièrement impossible (« No song, no spell, no madrigal / Could bring you back to me« ) mais tenter l’exploit avec tant de beauté force l’admiration et ravit l’âme.
Un retour somptueux pour une des plus belles œuvres de son auteur et un des grands disques de cette saison, que vous vous devez de visiter.
À noter : la réédition augmentée de leur premier album ”The Evening Visits… And Stays For Years”, classique inaugural de 1985 (Captured Tracks / Differ-Ant)
Franck ROUSSELOT
The Apartments – No Song, No Spell, No Madrigal
Label : Microcultures / Differ-Ant
Date de sortie : 13 avril 2015