Après un Cabinet Of Curiosities vintage, c’est un Hypnophobia psyché pop vivifiant que nous ramène Jacco Gardner. Une relecture rétro-futuriste très cinématique sur laquelle planent les ombres mêlées de Syd Barrett, Dario Argento ou Broadcast. Un livre d’images et rêves éveillés joliment réussi et envoûtant.
Il existe deux façons d’accueillir le deuxième album du jeune hollandais Jacco Gardner, et plus globalement, son rapport à la musique.
D’abord celle qui consiste à trouver le rayon vintage et revival pop déjà très encombré depuis quelques années dans la scène indé – ce qui n’est pas faux – et lui concéder du bout des lèvres un talent « d’artisan à l’ancienne » en regrettant l’aspect copiste de sa démarche.
Et une autre, qui se résume juste à lancer son intrigant Hypnophobia, à la belle pochette graphique rouge et jaune, à ouvrir grandes ses oreilles et à simplement se retrouver charmé par ce qu’elles découvrent.
Après son inaugural Cabinet Of Curiosities, relecture de la pop baroque des late sixties aussi brillante qu’assez scolaire et saturée de références (Syd Barrett et The Left Banke en tête), enhardi par son accueil critique et public plus que positif, le petit Jacco premier de la classe déplace sur un nouveau terrain l’objet de ses rêveries de jeune docteur ès-pop.
Un entrelacs de folk psyché et library music propice aux rêves, visions, voire cauchemars au fort parfum seventies qui revisite avec bonheur les chemins de traverse d’une époque riche en créativité buissonnière.
Comme un fort en thème alliant rigueur technique et prescience de l’invisible, Jacco Gardner réactive de façon inspirée les brumes mystérieuses de la psyché pop (Another You, le single Find Yourself), les vertiges du folk onirique (Face To Face, Brigthly) ou les richesses expérimentales des musiques de films envapées de l’époque aux longs formats (huit minutes pour Before The Dawn).
Une approche rétro-futuriste certes déjà très usitée par une foule d’artistes (Air en tête ou les jeunes « collègues » indé Tame Impala ou Unknown Mortal Orchestra) mais dont l’agencement de la production, diabolique de précision (claviers-clavecins accueillants, basse groovy, guitares mystiques, nappes hypnotiques) illumine chacun des dix morceaux.
Dix titres qui confirment les vertus du songwriting en phase ascendante de Jacco le héros, idéalement situé entre efficacité pop classique (le tubesque Find Yourself, Outside Forever) et goût prononcé pour les douces expérimentations atmosphériques (Before The Dawn ou le morceau de bravoure du fascinant morceau-titre Hypnophobia avec son arpège en boucle hypnotique) et les pauses instrumentales (Grey Lanes).
Avec sa connaissance encyclopédique de tous les courants du rock, surtout les plus pointus, et sa volonté affichée de s’inscrire dans les pas des B.O. d’Ennio Morricone et surtout des giallos fantastiques de Dario Argento (la pochette du designer Julian House en étant un hommage direct), impossible de ne pas vouloir déceler les mille références qui émaillent cet Hypnophobia très cinématographique, et vouloir les citer – on ne se refait pas.
Une guitare bucolique à la Mark Fry sur Brightly, un effet de cabine Leslie à la Black Sabbath sur la voix d’Hypnophobia, un groove magnétique façon Broadcast, LA référence rétro-vintage visée par le hollandais (Before The Dawn) : la liste serait longue…
De manière plus générale, même si l’on est prêt à parier que les membres d’Aquaserge et Forever Pavot se damneraient pour avoir signé la perle instrumentale Grey Lanes ou que MGMT chiperait bien Outside Forever et Unknown Mortal Orchestra ferait main basse sur Face To Face, résumer Jacco Gardner à un simple antiquaire malin qui chinerait sans vergogne dans les travées de l’histoire de la pop serait réducteur.
Sa réussite incontestable sur Hypnophobia est d’appliquer ses méthodes de farfouilleur-recycleur à un matériau musical à la fois familier et mal connu, propice aux songeries, rêves éveillés et incarnation de cauchemars flous.
Évidentes, mystérieuses, passées-présentes ou éclairantes pour demain, les images en super 8 que se fabrique l’auditeur de ce disque au charme persistant confèrent à son auteur un statut de magicien rétro-onirique qui lui fait supplanter, momentanément, toute concurrence dans le domaine et rendre de brillante façon un bel hommage à la créativité des années 70.
Reste donc, tout en surveillant sa tendance à l’hyper-maîtrise et au travestissement stylistique dont on espère qu’elle n’en fera pas un nouveau Beck version 2.0, à savourer avec délice les dragées rétro-pop plutôt pertinentes de Jacco Gardner, aux parfums mêlés d’encens et de mandragore qui devraient embaumer vos nuits de printemps, qu’elles soient ensommeillées ou pas.
Franck ROUSSELOT
Jacco Gardner. Hypnophobia
Label : Full Time Hobby / PIAS
Sortie le : 4 mai 2015
Jacco Gardner en mini-tournée en France : le 6 mai à Tourcoing (Le Grand Mix), le 8 à Feyzin (L’Épicerie Moderne) et le 11 à Bordeaux (Rock School Barbey).