Wonderland – Tom Tirabosco

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Tom Tirabosco évoque son enfance dans cette autobiographie qui commence comme un vieux film italien mais ne ressemble en rien à une dolce vita. Des premières années italiennes à l’installation en Suisse, l’auteur montre qu’il n’est pas forcément facile de trouver sa place entre un père macho un peu tyrannique et un frère handicapé mais plein de vie et monopolisant l’attention.

wonderland-tiraboscoDe par la couverture où l’on voit une pieuvre sur le point de s’emparer du lit-amphibie sur lequel un jeune garçon bouquine tranquillement, on doute que ce Wonderland s’apparente au pays des bisounours. En tout cas, on a très envie d’aller voir ce qui se trame dans cette mer sombre et hantée par des créatures terrifiantes. Ceux qui s’attendent à un récit d’aventures traditionnel seront déçus, car si effectivement il est question d’enfance, c’est uniquement pour l’exploration des souvenirs enfouis dans les profondeurs du passé. « Ma vie est plutôt confortable, alors pourquoi ce désenchantement et ce sentiment d’urgence ? » se demande Tom Tirabosco en bon quadra qu’il est devenu. Partant de ce constat, il s’est vaillamment lancé il y a dix ans dans ce projet autobiographique, en évitant d’édulcorer les aspects les plus sombres. Si l’auteur évoque avec tendresse cette enfance « sans problèmes », il parle aussi de ce frère handicapé avec la rage chevillée à un corps privé d’avant-bras et de la jambe droite, une rage si folle qu’elle le transformera en terreur du quartier. Il dresse également un portrait sans complaisance de ce père macho et sanguin face auquel sa sensibilité peinait à s’épanouir, tout en évoquant les querelles incessantes avec son épouse, elle-même révoltée par l’injustice sans doute en raison du handicap de son fils. Mais la maturité aidant, il fait preuve vis-à-vis du paternel d’une indulgence à la fois moqueuse et bienveillante en décrivant son goût pour la peinture « réaliste » et l’opérette, et lui reconnaît le soutien dont il fit preuve lorsque l’auteur, à la fois influencé par Walt Disney et Titien, manifesta la volonté de s’orienter vers une carrière de dessinateur.

Quant au dessin en noir et blanc, à la fois réaliste et schématique, Tom Tirabosco possède une technique toute personnelle et plutôt rare, dont l’aspect final donne l’impression qu’il s’en est tenu au crayon à papier. En fait, il s’agit du monotype, un procédé un peu plus long que le simple dessin au trait. Conjugué à la sensibilité de l’auteur, le rendu est extrêmement plaisant et traduit l’amour de ce dernier pour son art.

Ainsi Wonderland s’impose comme une œuvre introspective, humaine et riche en questionnements, mais à laquelle une pointe d’humour et d’onirisme évite toute lourdeur. On ne peut s’empêcher de faire le parallèle avec L’Ascension du haut-mal de David B., où l’auteur évoquait l’épilepsie de son frère, maladie beaucoup plus difficile à appréhender qu’un handicap physique et autrement plus dommageable pour la personne atteinte et son entourage. Là où David B. produisait un récit âpre et désenchanté, Tirabosco montre davantage de tendresse et d’indulgence, avec même une pointe de nostalgie. L’histoire se termine sur un échange tout en pudeur entre les deux frères, qui, devenus des adultes d’âge mûr, parviennent à se livrer mutuellement, brisant ainsi les commandements d’un père envers lequel ils savent toutefois exprimer leur reconnaissance.

Laurent Proudhon

Wonderland
Scénario & dessin : Tom Tirabosco
Editeur : Atrabile
136 pages –  22 €
Parution : 13 avril 2015