Récit d’une journée au cœur du Festival de Cannes, récit d’un marathon au cœur de la plus grande fête mondiale dédiée au 7ème art. Récit d’un moment rare et privilégié dans la vie d’un cinéphile lambda.
Pour tout festivalier, Cannes commence d’abord par une visite aux guichets du festival pour le traditionnel retrait des accréditations. Précisons que les journalistes accrédités pour le Festival de Cannes sont classés par ordre d’importance et donc, de priorité dans les files d’attente en fonction de la couleur du badge en question… le top étant le badge blanc, le moins prestigieux étant le jaune… contrairement au Tour de France.
Avoir un badge presse à Cannes, quelle que soit la couleur, est un privilège qui vous permet notamment de rentrer dans le Palais des Festivals et d’assister à tous les films de toutes les sélections. Le pied, quoi !
Tout bon festivalier se doit de voir au moins 3 à 4 films par jour. Et même 5 pour les plus endurants. Et moins longtemps vous resterez sur le Festival, et plus votre soif de films sera grande. Il faut dire que le nombre de séances proposées sur Cannes durant le Festival est tout bonnement hallucinant ! Environ 230 films sont projetés chaque jour dans les différentes salles de Cannes : des toutes petites de 40 places, réservées au marché du film, à la plus grande, la salle Louis Lumière et ses 2309 places. Entre ces deux formats, il existe des salles de toutes les tailles et de tous aspects qui sont réparties dans différents endroits de la ville avec, pour chacune d’entre elles, une sélection bien définie. Pour exemple, le Palais des Festivals est réservé aux deux sélections officielles : La Compétition et Un certain regard. Le Théâtre de la Croisette accueille la Quinzaine des réalisateurs, et le Miramar accueille, quant à lui, La semaine de la critique. A vous ensuite d’organiser votre journée entre ces quatre lieux stratégiques pour ne rien manquer des films importants du jour.
Vous l’aurez compris, l’organisation du planning journalier constitue chaque matin, ou même la veille au soir, un vrai casse-tête pour savoir quel film aller voir en priorité, tout en tenant compte des accès prioritaires pour certains films, et des rediffusions prévues les jours suivants…
Une fois les films du jour choisis, c’est parti pour une journée de folie, faite de marche, de longues heures attente, de slaloms entre les badauds, de repas envoyés sur le pouce mais surtout de films inédits présentés en double sous-titrage !
La journée début généralement vers 8h30/9h00 avec la projection de presse du premier film du jour en Compétition ou en section parallèle. Alors que Cannes dort encore, que les agents municipaux terminent de nettoyer les tiroirs à grands coups de jets, direction La Grande salle Louis Lumière pour voir le film dont on parlera toute la journée à la télé et à la radio, en évitant poliment les dizaines de personnes qui, chaque matin dès 7h30, mendient sur les trottoirs aux abords du Palais des invitations pour des films de la compétition, pancarte à la main avec le nom du film inscrit dessus… un peu comme des autostoppeurs.
La première séance terminée, direction le stand Nespresso situé au premier étage où tout le monde se précipite, après le film, pour faire une première pause, mais aussi pour échanger des immersions à chaud, et balancer les tweets qui vont donner les premières tendance du jour. Mais on ne s’attarde pas car la séance de 10h30/11h00 approche et il faut enchaîner.
Vers 13h00, la faim se faisant sentir, nouvelle courte pause. On chope alors une place vacante à l’une des très nombreuses terrasses de la ville avant même d’avoir regardé ce qu’on y servait. Surprise garantie pour le ventre et pour le porte-monnaie.
La salade niçoise à peine avalée, petite marche digestive d’une dizaine de minutes, juste le temps qu’il vous faudra pour aller du Palais au Miramar, avec comme objectif de vous enfiler dans la file d’attente afin de voir l’un des films du jour programmés à La Semaine de la critique.
Deux heures plus tard, le générique de fin à peine entamé, retour au Palais au pas de course pour venir compléter une autre file déjà bien conséquente pour la séance Un certain regard prévu à 17 h. Après une bonne heure d’attente sous le soleil, les badges blancs, bleus et roses sont rentrés dans la salle quand ce que vous pouviez craindre se produit finalement : la barrière se referme. La salle est pleine. Il faut donc envisager un repli. On ne se démobilise pas pour autant, et on repart le long de la Croisette, à fond les gamelles pour rejoindre le cinéma de l’Hôtel Mariott pour la séance de 18h où, là, vous entrerez sans difficulté avec votre méga badge qui, quelques minutes avant, n’avait pas grande valeur.
Il est 19heures/20 heures, le film était bien, mais vous avez piqué du nez plusieurs fois. Vous commencez sérieusement à ressentir la fatigue de la journée. Le bruit incessant du dehors, les heures passées à piétiner, la foule de plus en plus nombreuse en ce week-end d’ascension, les semi-vedettes et les vraies de vraies en smoking et robes longues que vous croisez dans les rues, tout ce folklore et cette hystérie quotidienne engendrée par la montée des marches ne fait qu’amplifier la lassitude qui vous envahit soudainement. A ce moment de la journée, tout devient alors difficile à supporter, et vous comprenez qu’il est largement temps de faire une dernière pause. Deux solutions s’offrent alors à vous : soit vous rentrez sagement à votre chambre de misère, soit vous allez vous manger une assiette de pâtes au parmesan à 13 euros (j’ai la facture, je peux vous le prouver !) histoire de recharger les accus pour ne pas tomber en hypoglycémie. Si vous avez opté pour la deuxième solution, vous voilà parti pour une cinquième séance qui débutera aux mieux vers 20h30 ou au pire à 22h30, si les cafés et l’addition ont mis deux plombes à arriver. Comptez alors un retour au gîte sur les coups d’une heure du matin avec le risque, forcément, de vous mettre dans le rouge dès le lendemain matin faute d’une nuit de sommeil suffisamment réparatrice.
Vous l’aurez compris, la vie de festivalier à Cannes n’est pas de tout repos. Et tout n’y est qu’une question de choix, de priorité, d’habitude et d’organisation.
Les plus expérimentés connaissent toutes les astuces pour entrer partout et facilement ; ils connaissent par cœur les endroits où l’on mange correctement et pas trop cher. Les novices, eux, se trompent encore parfois de chemin dans les rues bondées de Cannes, se font avoir par une formule du jour trompeuse et ont toujours du mal à estimer leurs chances de pouvoir rentrer ou pas à telle ou telle séance. Bref, Cannes demande un temps un vrai temps d’adaptation et d’observation. Cannes, c’est aussi l’apprentissage du renoncement, de la frustration et de la patience. Car on ne va pas voir un film à Cannes comme on va voir un film à Epinal ou à Nancy le restant de l’année. Faire une heure de queue pour voir un documentaire chilien sur la vie de famille de Salvador Allende, personne ne le ferait en temps normal. Mais une fois la mi-mai arrivée, une fois le badge autour du coup, une fois lancé dans le grand bain cannois, plus rien n’est impossible.
Pourtant malgré la fatigue, malgré les bousculades incessantes, l’excitation, l’énervement des festivaliers à certains moments et le manque de lucidité de plus en plus grand au fil des jours, malgré l’arnaque qui rode à chaque terrasse de bar ou de resto, le Festival de Cannes reste un moment privilégié dans la vie d’un cinéphile et qu’on ne louperait pour rien au monde.
Benoit RICHARD