Dans un monde futuriste ultra-robotisé, deux multinationales du soda se partagent le pouvoir. Toutes deux s’affrontent dans une guerre commerciale sans merci, où chaque citoyen doit choisir son camp et ne surtout pas se tromper de breuvage sous peine d’être mis aux arrêts. C’est dans ce contexte tendu qu’un extra-terrestre, suite au crash de son vaisseau spatial, va venir perturber le cours des choses, équipé d’une drôle de valise…
Lucas Varela, après un conte macabro-schizophrène sur la dictature argentine (L’Héritage du colonel) et une exploration hallucinée des syndromes altérant la perception (Diagnostics), nous surprend encore par son imagination débordante en s’orientant cette fois vers la science-fiction. Dans Le Jour le plus long du futur, il s’est livré à un exercice de style au ton plus léger mais en conservant son ironie grinçante. Son défi : raconter une histoire muette sur plus de cent pages. La trame reste assez simple (un alien débarque dans un monde dominé par deux « Etats-multinationales » totalitaires) mais l’absence de textes ne dispense pas de toute action neuronale, loin s’en faut. En effet, l’auteur argentin est clairement un cérébral, et son univers graphique foisonne de détails qui ont tous leur importance dans la compréhension du récit, mais peut-être un peu à l’étroit dans ces gaufriers à huit cases publiés dans un format restreint. Ce que lui reprocheront sans doute les plus impatients.
Capable d’aborder des styles variés, Varela a repris sa ligne claire tout en mêlant minimalisme et sens du détail. Personnages filiformes et formes oblongues dans des couleurs désaturées matérialisent parfaitement l’univers futuriste et froid de l’histoire. Dans cet environnement paranoïaque saturé de caméras tentaculaires inquisitrices, l’étrange valise de l’extra-terrestre – qui permet de matérialiser les désirs inconscients – va gripper les rouages de la machine high-tech, produisant une réaction jubilatoire chez le lecteur.
On ne rit pas forcément aux éclats, mais si on rit, les éclats ont la couleur jaune de la satire socio-politique. Encore imprégné des miasmes de la dictature militaire dans son pays, Lucas Varela a transposé en filigrane ses craintes dans un monde futuriste qui par bien des aspects ressemble beaucoup à celui de 2015, où la puissance des multinationales tend à empiéter sur les gouvernements. La seule différence, c’est qu’aujourd’hui on peut encore choisir de boire du C**a ou du P***i. Sous des dehors anecdotiques, Le Jour le plus long du futur supporte aussi cette grille de lecture et prend du coup une tournure plus subversive qu’il n’y paraît.
Laurent Proudhon
Le Jour le plus long du futur
Scénario & dessin : Lucas Varela
Editeur : Delcourt
Collection : Shampooing
112 pages – 14,95 €
Parution : 15 avril 2015