Quelque part dans la jungle luxuriante, une tribu d’humains semble frappée par la malédiction. Pour calmer le courroux des dieux, la jeune Xipil a été donnée en offrande par le chaman à la déesse Caïman. Ne supportant pas cette injustice, le Roi Ours vient la délivrer du totem auquel elle a été attachée. Craignant la colère du chaman, Xipil, d’abord réticente, se résigne à fuir, mais dans la forêt, ses pas croisent par hasard ceux de son époux Antli. Loin de se réjouir, ce dernier lui inflige une correction sévère. Une fois encore, le Roi Ours viendra à son secours, blessant gravement Antli. Pour la protéger de représailles inévitables de la tribu, il lui proposera de l’épouser en faisant d’elle une ourse !
A première vue, Roi Ours, signé de Mobidic, jeune auteure franco-mexicaine vivant à Bruxelles, a plutôt l’air d’une BD jeunesse. L’histoire mettant en scène cette jeune femme vivant parmi les animaux fait penser à une sorte de remake du Livre de la jungle. Doté d’un cadrage très dynamique, ce dessin réaliste aux contours épais pour les personnages et les animaux, qui rappelle nos vieux cahiers de coloriage, a quelque chose d’assez enfantin. Pourtant, en y regardant de plus près, on se rend compte que cette production n’est pas vraiment destinée à un jeune public.
Et pour revenir au dessin, si je dois avouer être un peu réservé sur cette « grosse » ligne claire qui reste néanmoins élégante, j’ai en revanche été beaucoup plus séduit par la mise en couleur avec ses ambiances chaleureuses et ses délicates aquarelles qui font ressembler la jungle à un cocon protecteur, à l’image de ce merveilleux arbre-baignoire rempli de feuilles duveteuses. Quant à ce gros nounours blanc protecteur, qui n’aurait envie de redevenir un tout petit enfant et se lover au creux de son épaule ?
Pourtant, au-delà des apparences, Roi Ours s’avère être une fable tragique et cruelle sur la vengeance. Au départ naïve et bien disposée envers le monde et les siens, la jeune héroïne, dépitée par la mise à mort de son ours bien-aimé par son époux jaloux, finira par se soumettre corps et âme à une loi du talion aux accents chamaniques. Certaines scènes sont assez violentes et l’hémoglobine gicle. Le poison noir de la haine s’est répandu inéluctablement dans les eaux immaculées de la bienveillance comme le sang sur la soyeuse fourrure blanche du Roi Ours, et le chaos ressort victorieux en laissant derrière lui son champ de ruines. Le constat est pessimiste et lucide : quand la soif de vengeance est trop forte, les belles paroles apaisantes n’y peuvent rien changer. Ici, les bons sentiments ne sont pas de mise, et la fin laisse un goût amer. En résumé, Roi Ours n’est pas bisounours et ne s’adresse pas vraiment aux plus jeunes. Nul doute en tout cas que ce one-shot aura permis de révéler une auteure de talent à surveiller de près.
Laurent Proudhon
Roi Ours
Scénario et dessin : Mobidic
Editeur : Delcourt
Collection : Hors Collection
112 pages – 16,95 €
Parution : 13 mai 2015