Avec Fated, Nosaj Thing compose une musique qui n’a d’autre ambition que d’unifier l’espace d’un instant le corps et l’esprit, et de nous faire danser pour mieux penser le réel
Le label californien Innovative Leisure, créé par le rockeur gominé Hanni El Khatib, nous avait habitué jusque là, à faire du neuf avec du vieux, à coup de morceaux rhythm’n’blues (Nick Waterhouse) ou de rock psychédélique (Allah-Las) ou garage (Hanni El Khatib). Ce label abrite pourtant en son sein quelques artistes plus avant-gardistes comme De Lux et sa disco futuriste, ou encore Superhumanoids, auteur d’une pop agitée et transgressive. Jason Chung, alias Nosaj Thing, se situe dans la deuxième catégorie, celle des chercheurs fous, qui se sont mis en tête de repousser encore et toujours les limites de la musique électronique.
Dans une interview récente, Nosaj Thing révélait son besoin de travailler dans l’urgence, sous peine d’être incapable de finaliser le moindre morceau, préférant de loin le plaisir de la recherche de nouveaux sons, à celle plus astreignante du mixage et de la production. Fated, qui est son troisième album (le deuxième sous le label Innovative Leisure), donne le sentiment que l’artiste a enfin pu se libérer et se débarrasser de la pression générée par le succès surprise de son album précédent, Home. Le premier titre de l’album, Sci, donne immédiatement le ton: on retrouve la patte particulière de l’artiste qui confronte des sonorités industrielles à une mélodie douce et enveloppante.
Nosaj Thing adopte la plupart du temps un rythme mid-tempo pour ses morceaux, parvenant assez facilement à jouer avec notre humeur au gré de ses envies et des atmosphères créées par ses mélodies. La voix des invités de l’album, le producteur Whoarei sur Don’t Mind Me et Chance The Rapper sur Cold Stares, se fondent dans la musique plus cérébrale qu’instinctive de Nosaj Thing.
Avec ses chants chuchotés et ses paroles souvent glaçantes (comme ce récit poignant de Chance The Rapper sur la vie tragique d’un drogué sur Cold Stares), il se dégage des quinze titres de l’album une tristesse latente mais pas plombante, une noirceur quasi sensuelle comme sur les sublimes Let You et Moon.
Fated devrait séduire sans trop de mal celles et ceux qui prendront le temps de l’écouter et de se laisser envahir par cette musique minimaliste, mi-électro mi-hip hop, qui nécessite tout de même un temps d’apprivoisement, symbole de la relation toujours compliquée que l’homme entretient avec les machines.
Julien Adans
Nosaj Thing – Fated
Label: Innovative Leisure
Date de sortie: mai 2015