Une fois n’est pas coutume, le retour des Innocents échappe à la malédiction des vieux groupes reformés. En forme de Mandarine fraternelle, un élégant précept d’art pop où le duo égalise avec leurs meilleurs collègues anglo-saxons. Miam !
Les reformations de groupes n’étant de manière générale et admise par tous jamais très nécessaires ni concluantes artistiquement, on est vraiment contents, en cette période d’été précoce éclatant, de voir celle des Innocents faire mentir cette règle.
Un retour longtemps différé et dont le fruit de ces retrouvailles nous offre une Mandarine fruitée à la délectable saveur pop.
Le groupe drivé par le tandem JP Nataf & Jean-Christophe Urbain n’est pas seulement l’auteur d’une foultitude de tubes qui ont fait le bonheur des playlists des années 80-90 (L’Autre Finistère, Un Monde Parfait ou autres Colore), c’est surtout un rare exemple de chaînon manquant entre variété à succès et pop mélomane puisant aux meilleures références anglo-saxonnes (XTC ou la lignée Beatles–Kinks en tête).
Un bizarre appareillage pas toujours revendiqué par de nombreux auditeurs pourtant bercés par leurs compositions folk pop gentiment complexes aux paroles elliptiques, dont la discrète marque de fabrique irrigue encore en secret la pop française seize ans après leur séparation impromptue.
En fait plus une vraie pause et occasion de liberté créatrice pour chacun que véritable brouille, comme se jouant des méandres du temps, les deux ex-compères enfin complices renouent donc leur dialogue, fort des expériences artistiques engrangées depuis et qu’on soit fan de longue date ou pas leur retour fait plaisir.
Disque à deux plumes deux guitares et deux voix, Mandarine explore joliment dans l’écrin sonore cristallin discret mais pertinent façonné par leur fidèle arrangeur Dominique Ledudal l’écheveau complexe des relations amicales (Les Philharmonies Martiennes, Sherpa) ou amoureuses (Love Qui Peut), les brisures intimes de l’enfance (Petite Voix), les espoirs offerts par les lendemains retrouvés (Les Souvenirs Devant Nous).
De fait parfaitement fidèles aux fondations de leur musique, idéalement équilibrée entre l’efficacité pop de JC Urbain et l’évidence mélodico-mélancolique aux fulgurances d’écriture de JP Nataf, cette collection lumineuse de dix chansons aux voix mêlées révèle surtout une inspiration et communion retrouvée (« Retrouver le geste frère » sur Les Philharmonies Martiennes, « Il y a longtemps que l’on attend / Que l’on s’espère un peu loin devant » sur le nostalgiquement joueur Harry Nilsson).
Prolongeant de façon épanouie le beau travail en solo de Nataf – son brillant Clair de 2009 ou en renfort des géniaux The Mabuses – leur songwriting élaboré à chausse-trapes et ces trouvailles d’écriture elliptique jouant avec brio sur l’homophonie et la sonorité des mots (à la manière de Bertrand Belin et pas si loin des auteurs de Bashung ou du patrimonial Boby Lapointe) s’avèrent le véhicule parfait d’un art pop de haute volée.
Pour un collier de perles où l’euphorie pop le dispute à une pudique émotion (parfaite Love Qui Peut), la communion folk à la Andrew Bird se transforme en obsédant mantra énigmatique (« On ne fait que danser / On ne fait qu’y penser / Et voilà que tu chantes faux« , Les Souvenirs Devant Nous), ballade en VO british conviant autant le souvenir de Lennon & McCartney champêtres que des Kings Of Convenience (Erretegia), promenade indolente au soleil saluant le lien fraternel qui aurait pu figurer sur un album des High Llamas (Sherpa)…
Autant de petits bonheurs saluant avec grâce et naturel la crème des plus grands orfèvres anglo-saxons du genre et dont notre duo de fins experts inespérément réconcilié tutoie ici le niveau. À la faveur de cette Mandarine généreuse comme un soleil, les ex « Z’Innos sympas » révèlent enfin l’ampleur de leur vrai talent.
Comme des homologues français de The Lilac Time ou petits-cousins d’XTC, JP & Jean-Chri, nos Innocents aux mains pleines, perpétuent avec modestie mais éclat la vaillance d’un artisanat pop classique mais toujours pertinent.
Fraternel, chaleureux et doucement touchant, un retour non seulement réussi mais à recevoir surtout comme un cadeau, acte de pure générosité offert au public et aux mélomanes.
Mordez donc sans restriction dans la savoureuse Mandarine qu’ils vous offrent.
Franck ROUSSELOT
Les Innocents. Mandarine
Label : Jive Epic / Sony Music
Sorti le : 1er juin 2015
Les Innocents en concert dans le cadre du OUI FM Festival, avec Cali et Mina Tindle, le jeudi 25 juin à Paris (Place de la République).