Alors que les écrivains occupent aujourd’hui le cyber-terrain avec assiduité, Alain Bonnand est un auteur discret. C’est au papier qu’il réserve sa plume, légère et séduisante.
Après des débuts en fanfare à la fin des années 80 (Bernard Pivot doit encore se souvenir de sa prestation controversée à Apostrophes) Alain Bonnand a vite quitté les allées réservées aux jeunes écrivains prometteurs, lui qui se dit “pas carrière pour un sou”. Absent de la scène publique et des réseaux sociaux, il publie de loin en loin de légers ouvrages, qui ne pèsent pas dans le sac à main des femmes, auxquelles il doit toute son inspiration.
Après Emilienne, Edith, Cécile, Martine, Alexandrine, Sylvie (que celles que j’oublie me pardonnent), La Grammairienne et la Petite Sorcière viennent enchanter Alain. Avec la première il évoquera la seconde (la Sylvie d’autrefois : il retrouve dans une malle des textes qu’il lui avait écrits). Car pour l’auteur l’amour est, plus que pour tout autre, enfant de Bohême.
“Je n’ai jamais écrit une phrase que ce ne soit par pur esprit de caresse”, écrit-il, lui qui propose à Adeline (la grammairienne) de “rire, se promener, se jouir, se faire la lecture et se ficher bien du reste.” L’inclination pour l’autre sexe prend bien des chemins. Il y a la camaraderie amoureuse, qui vous rend plus vivant, et le grand amour : une sorte de fantasme qui vous fait tout transi. “Quelquefois tu mériterais que je te désire bêtement.”
Dans la seconde partie, on retrouve Sylvie (celle de Je vous adore si vous voulez), et le livre se teinte d’un voile mélancolique. “Tu me fais moins peur que le sentiment que je te porte.”
Tout Bonnand est peut-être là : essayer de garder la joie entre l’amour de l’amour et la crainte de s’y perdre.
Flânerie littéraire dans un style qui a la grâce, le livre entrouvre la porte sur les auteurs aimés : Jacques Perret, Emmanuel Berl, Jean Reverzy… dont Bonnand se montre le talentueux héritier.
Brigitte Tissot
La Grammairienne et le Petite Sorcière
Éditions Serge Safran
134 pages – 15,90 euros
Parution : mai 2015
Extrait :
“ – Alors nous épargnons sur les timbres ?
Vous avez baissé les yeux. (Vous le faites très bien aussi).
– Je n’ai pas répondu à votre…
– Parfait : vous n’en recevrez plus !
(A partir de la semaine suivante et pendant près d’un an, j’allais vous accabler de courriers.)
Il y eut un silence grave. Je me tenais penché sur vous. J’avais le dessus, ce n’était pas à négliger. Je vous scrutais lentement, admiratif. Votre chemisier bien repassé, la masse têtue de vos beaux cheveux, vos cils timides : la vie exagérait beaucoup de votre côté… Il n’était pas mal, tout compte fait, que j’aie pris à votre sujet la précaution de m’enthousiasmer huit jours à l’avance.”