Conçu comme une descente profonde dans les abysses d’une idylle amoureuse, le Léviathan de Flavien Berger est une plongée dans un univers d’images qui laisse libre court à l’imagination et nous emmène jusqu’à l’abstraction.
Repéré par Judah Warsky qui lui mettra le pied à l’étrier au sein du label Pan European Recording, Flavien Berger constitue mine de rien une discographie des plus exemplaire après deux premiers EP prometteurs et ce premier album baptisé Léviathan. Musicien autodidacte, il aurait commencé la musique en maltraitant sa console de jeux pour en extraire des sonorités bizarroïdes. D’entrée de jeu, sur son véritable premier album, on retrouve ce côté ludique et inventif chez ce crooner post moderne qui nous emmène dans un univers fantasmagorique avec 8888888 (vous ne rêvez pas c’est bien le titre d’ouverture).
Choeurs et rythmiques technoïdes légèrement angoissantes nous immergent dans un monde mélangeant mythologie et science-fiction. Ce serait peine perdue de comprendre les paroles, seules les images comptent chez Flavien Berger. On comprend juste que l’histoire racontée au fil de l’album, est celle d’une quête amoureuse dans laquelle les protagonistes ont depuis longtemps croqué avec délectation la pomme de l’arbre de la connaissance, à l’instar d’Adam et Eve. Vous l’aurez compris, le Léviathan, ce monstre à la fois effrayant et fascinant n’est jamais bien loin.
Sur Abyssinie, Flavien Berger nous fait plonger dans les limbes aquatiques et nous raconte en quelques mots cette romance des fonds marins, jouant avec les images et les mots, comme cette confusion volontaire et poétique entre abysses et Abyssinie, ancien royaume de l’Éthiopie. Peu importe d’ailleurs le sens véritable des mots, seules comptent les images et les réminiscences qu’ils nous évoquent.
A l’image des poèmes de René Char qu’il aurait lu lors de l’enregistrement de son album, Flavien Berger pose sur ses synthés et boites à rythmes, des incantations surréalistes et hallucinatoires tantôt parlées, parfois chantées, qu’il décline à volonté sur différents styles musicaux. La Fête Noire décrit une fête foraine qui nous abreuve de lumières et d’artifices et nous fait faire le grand huit en passant tour à tour d’une sorte d’électro rockabilly évoquant Alan Vega et son Suicide, à une plus classique pop française. Sur Vendredi, le ton se fait plus doux, les mots, choisis autant pour leur sens que leur sonorité, semblent voguer au gré des nappes synthétiques.
Saint-Donatien, titre instrumental et expérimental, sert de transition vers le joyeux Rue de la Victoire, titre synth-pop aux arpèges délicats, lointain cousin du Duel au Soleil d’Étienne Daho, mais qui pourrait être chanté par Philippe Katerine tant les paroles sont désarmantes de naïveté et d’espièglerie : « Le soleil, dans la maison – C’est joli, après la pluie ». Sur Bleu Sous-Marin, Flavien Berger renoue avec ses débuts en utilisant le 8-bit, musique composée de sons créés par la puce audio d’une console de jeu, pour délivrer un électro-blues languissant.
Avec Inline Twist, il va même plus loin encore en mélangeant hululements d’indiens avec une techno à la rythmique implacable et industrielle. Gravité parle d’amour à sens unique et dévoile un Flavien Berger plus fragile que jamais : « Oh chéri – Mes yeux pleurent – Le ciel est tes pieds – Et je suis à genoux… ». Puis arrive, la chanson titre, Léviathan, une odyssée sonore de quinze minutes dans les abysses sous-marines, étendue de plages tendues et stratosphériques.
On se dit alors que Flavien Berger n’est pas si éloigné de Koudlam, autre figure du label Pan European, dans sa volonté avouée de nous faire atteindre la transe à travers ses digressions à répétition et ses morceaux à multiples facettes. Un pari osé mais tenu haut la main par cet esthète professeur d’arts à ses heures, pour qui musique rime à n’en pas douter, avec cohésion et énergie New age.
Julien Adans
Flavien Berger – Léviathan
label : Pan European Recording
Sortie : 20 avril 2015