Le jazzman suisse Sknail vient de sortir son second album Snail Charmers. Celui qui marche sur les traces d’Erik Truffaz nous parle avec passion de ses albums favoris d’hier et d’aujourd’hui, de ces albums qui l’accompagnent et qui ont façonné son style ou non.
mai 2015
5 disques du moment :
Tord Gustavsen – « Changing Places » (ECM – 2003)
Le label allemand ECM est pour moi une référence. Il m’a énormément influencé, tant dans la conception artistique, dans l’esthétique que dans le son, absolument superbe. Ce 1er album de Tord Gustavsen, bien que paru en 2003, fait partie de ces disques qui reviennent tourner fréquemment dans mes écoutes « du moment ». Et ces temps-ci, c’est le cas ! Ce power trio (piano – contrebasse – batterie) est pour moi le summum de la finesse, dans le genre. L’approche mélodique, l’espace, le jeux et l’interaction de chaque musicien est juste à couper le souffle. C’est l’album « pour se ressourcer ».
Alva Noto – « Xerox Vol. 3 » (Raster Noton – 2015)
Alva Noto est pour moi une référence ! Et son dernier album, peut-être un peu moins « glitch » que les précédents, n’en est pas moins excellent, tant au niveau des climats, des textures que du son. Il tourne en boucle !
Shuttle358 – « Can you prove I was born » (12K – 2015)
Je suis un grand fan de ce musicien californien qui allie avec talent et poésie l’électro ambient à l’electronica glitch. J’adore les paysages sonores qu’il crée. N’ayant que tout récemment acheté l’album, il m’est encore difficile de le juger avec assez de recul, mais j’aurais une tendance à préférer les précédents, un peu plus sombre et « mineures » … à voir à l’usure.
Erik Honore « Heliographs » (Hubro – 2015)
J’avais déjà adoré le travail qu’il avait fait avec Jan Bang et ne suis pas déçu par son dernier album, sous son propre nom (où Jan Bang apparaît aussi du reste). Grand amateur de cette électro scandinave, je suis toujours impressionné par ces recherches sonores, ces ambiances d’un autre monde, presque improbables, et la voix de Sidsel Endresen venant ponctué quelques titres de ces incroyables vocalises. Une belle réussite.
Dasha Rush – « Sleep Step » (Raster Noton – 2015)
Toujours à l’affût des dernières sorties chez Raster Noton, j’ai été très impressionné par la qualité du travail de cette DJ russe. Les ambiances y sont vraiment prenantes et le son superbe.
5 disques pour toujours :
Pink Floyd – « Wish you were here » (EMI – 1975)
La 1ère fois que j’ai entendu cet album, j’étais gamin. C’était mon frère, plus âgé qui l’écoutait dans sa chambre avec des copains. Et c’est réellement la 1ère fois que j’ai ressenti LA sensation, celle qu’uniquement la musique peut procurer, celle qui nous met dans un état de bien-être et d’introspection ! Je me souviens également regarder fixement la pochette du vinyl, sans m’arrêter, en scrutant le moindre détail, pour comprendre ce qu’ils avaient voulu dire avec ce visuel qui m’impressionnait (et qui m’impressionne du reste encore aujourd’hui). Cet album m’a toujours suivi, tout au long de ma vie. Je le mettrai en parallèle avec « Dark side of the moon », mais il fallait bien en choisir un. Ce sont des albums totalement intemporels, indémodables, une sorte de musique classique du 20ème siècle (avec pleins d’autres bien sûr), ceux qui resteront, même quand tout sera réduit en cendre.
Bill Evans – « You must believe in spring » (Warner – 1977)
Quelques années plus tard, plus ou moins à l’adolescence, j’étais dans un magasin de disques (ceux dans lesquels on demandait au disquaire si on pouvait écouter tel ou tel CD, et qu’on observait avec inquiétude de peur qu’il nous dise que le maximum était de 3 CD par séance d’écoute, alors qu’on en avait choisi 10 à écouter — et à chaque fois qu’on lui demandait de changer le CD, on sentait poindre son agacement — vous vous souvenez ?). Et ce jour-là, je n’ai pas pu écouter les 9 autres CD ! Je suis restés scotché sur ce CD de Bill Evans. Peut-être avez-vous déjà connu cette sensation des larmes qui montent sans prévenir dans le magasin de disques, qu’on retient parce qu’on est en public et « big boys don’t cry » de toute façon ! Et ça c’est encore une autre sensation, jouissive : celle où l’on a envie d’engueuler le musicien qui joue dans le CD, en lui disant : « mais pourquoi tu joues ça ? pourquoi as tu choisi ces notes-là ? Pourquoi tu balances ces harmonies que je n’avais jamais entendues et qui vont me toucher tout au fond de mon âme ? Pourquoi tu joues comme ça avec ce pareil feeling ? Tu sais ce qui me touche au plus profond de moi et tu joues ça ? Sans prévenir ? Quitte à me faire pleurer devant tout le monde ? C’est juste pour me faire mal hein, salaud..?
Alva Noto + Ryuichi Sakamoto – « Insen » (Raster Noton – 2005)
Encore quelques années plus tard, après que le magasin de disques susmentionné eût fait faillite, j’achetais la plupart de mes disques online, sur internet. Ce jour-là, j’avais acheté cet album d’Alva Noto et Ryuichi Sakamoto que j’avais chargé dans mon lecteur MP3 pour l’écouter en conduisant. Et là, nouvelle sensation, que j’ai juste adorée : entendre le vide ! écouter le silence entre 2 accords de piano hyper espacés, le dépouillement total ! A tel point que je m’étais arrêté au bord de la route pour couper le moteur, qui dérangeait. Également le traitement du son « clinique » à Alva Noto y est pour beaucoup ! C’est avec le travail d’Alva Noto que j’ai découvert le glicth et son esthétique. Sa conception sonore m’a également énormément influencée : ces sub très bas et profonds, mélangés aux glitchs très aigus et sur-réverbérés, du pur génie ! Il y avait une place énorme dans les plages de fréquences. Et cette sensation d’espace m’est apparue comme indispensable dans mon travail par la suite. Il fallait que le silence soit mon nouvel instrument de musique.
Anouar Brahem – « Le Voyage de Sahar » (ECM – 2006)
La 1ère fois que j’ai entendu Anouar Brahem, c’était sur l’album « Thimar », un peu après sa sortie, chez un ami qui voulait me le faire découvrir. Le 1er morceau « Badhra » m’a complètement soufflé la 1ère fois que je l’ai entendu. La pédale de contrebasse à Dave Holland, modale et répétitive, mélangée au oud d’Anour Brahem et au sax soprano de John Surman m’ont coupé le souffle. Je parlais de vide sur l’album précédent, là j’introduis la notion d’intensité. Je me suis dit « mais il ne sont que 3 ? » Et c’est avec l’album « Le Voyage de Sahar » dans lequel, en plus de cette intensité, j’ai ressenti cette poésie et cette finesse. La piano et l’accordéon, mélangés au oud, m’ont alors apparu comme un mélange incroyable, complètement nouveau et énormément touchant. C’est dans cet album que j’ai ressenti la vague de toutes les sensations décrites avant : émotion, finesse, espace et poésie.
Massive Attack – « Protection » (Virgin – 1994)
C’est cet album entre autre, dans les années 90, qui m’a fait découvrir le trip-hop et les paysages nébuleux qui l’accompagnent. Pour moi, la musique électronique prenait un tournant différent à l’écoute de ces traitements de son particuliers, très précis et cradingues à la fois, avec cette ambiance glauque et en même temps langoureuse, presque érotique. Le morceau « Karmacoma », avec la voix de Tricky, et celui de Portishead « Glory Box » m’ont littéralement bouleversés. Ils introduisaient pour moi une nouvelle donnée essentielle dans la musique : la recherche de l’esthétique dans quelque chose qui n’est pas forcément beau.
Sknail – Snail Charmers
Unit Records – 2015