Sang, larmes, sexe et questions existentielles, Luz fait son auto-analyse dans un ouvrage poignant et qui laisse à réfléchir.
Aristote a défini la catharsis par l’épuration des passions à travers des représentations artistiques. Une thérapie de purification de l’esprit par l’art qui permet de se libérer des traumatismes émotionnels en les extériorisant. Dans son recueil de courts scenarii du même nom, Luz fait son auto-analyse, construisant ses idées au fil de ses pensées et réflexions.
Le 7 janvier 2015, Luz arrive en retard à la conférence de presse de Charlie Hebdo. C’est son anniversaire et le cadeau qui l’attend dans les locaux du journal est empoisonné.
Survivant du carnage qui a lieu ce jour-là, il en est aussi victime. Marqué par la disparition de ses amis, peut-être que lui non plus n’en est pas totalement revenu. Le hasard l’a épargné physiquement, mais pas psychologiquement, alors, il se déshabille pour mieux retrouver son corps. Après tout, les nus sont une habitude à Charlie Hebdo. On frôle l’hommage ! Pourtant, on est loin de la provocation habituelle de l’hebdomadaire satirique. C’est un regard sur les événements livré brut, tantôt cru, tantôt drôle, mais toujours viscéral. Perdu dans des méandres existentiels, Luz évoque son quotidien depuis ce jour qui a bouleversé sa vie et celle de tant d’autres. Nous entrons dans la tête d’un auteur conservant une cicatrice qui ne s’effacera jamais et avec laquelle il lui faut apprendre à vivre. Il l’appréhende pour continuer à mettre un pied devant l’autre. Ce stigmate, une boule au ventre, Luz l’a nommé Ginette et, depuis quelques mois, elle fait partie de lui et de son quotidien. Elle n’est jamais bien loin, pointant le bout du nez au moindre bruit, puisant ses forces dans l’oppression du cloisonnement.
L’humour très noir et angoissant laisse à réfléchir. Dans une mise à distance avec son sujet, il ouvre un regard neuf sur ce massacre et, comme une dernière fronde, livre sa douleur, son amour, son désespoir, sa peur, ses coups de folie, ou sa haine, à travers ce crayon qu’on a tenté de faire taire.
La chose n’était pourtant pas gagnée d’avance. Luz pensait ne plus pouvoir dessiner, l’envie et la maîtrise l’avaient quitté. Il a fallu réapprendre, oser, et s’interroger sur le sens de son travail. Voilà qui est fait avec ce recueil d’une sincérité époustouflante, presque gênante tant on frôle par instant son intimité. D’un trait alternant l’esquisse et la caricature, il nous livre un dessin épuré, agrémenté par de rares couleurs, et notamment du rouge évoquant une plume qui a puisé son encre dans le bain de sang. Pour autant, il ne parle jamais de vengeance, préférant fustiger médias et politiques, se consternant d’hommages à outrance tendant à l’absurde, ou encore épinglant la condescendance de ceux qui pensent avoir été marqués par l’événement plus que lui n’a pu l’être. Il pose un autre œil sur ce 7 janvier où tout a bousculé. Une vision que ses petits quidams, aux grands yeux ébahis, paralysés par l’incompréhension, traduisent avec une intelligence rare qui se passe de mots.
Luz n’a sans doute pas encore fini sa thérapie mais, à l’image de ses personnages qui à la fin ont conservé leurs regards vides mais retrouvé leurs jambes pour avancer, il a enfin pu tourner la page pour continuer à écrire, recommencer à vivre !
Simon BAERT
Catharsis
Scénario : Luz
Dessin : Luz
Éditeur : Futuropolis
128 pages – 14,50€
Date de sortie : 21 juin 2015