Gaston vit désormais à New-York en tant qu’ouvrier du bâtiment. Avant de mourir accidentellement, la jeune prostituée dont il s’est entichée le charge de remettre ses économies à la nourrice de son fils Alvin pour lui éviter l’assistance publique. Une mission plus compliquée que prévu, étant donné le caractère difficile de l’orphelin…
Avec son drôle de chapeau, Abélard était une sorte de magicien poète. Ces aphorismes qu’il sortait de son galurin avaient le pouvoir de toucher l’âme. Ce petit personnage attachant, en plus d’être décrocheur de lune et ramasseur d’étoiles, avait réussi à tirer sa révérence de façon grandiose à la fin de la série qui portait son nom. Les cendres, jetées du haut d’un avion par son compagnon Gaston, s’étaient transformées en poussières d’étoiles. L’héritage d’Abélard, c’est ça. Ces poussières dorées, qui une fois au sol, ont germé pour donner les plus beaux bouquets. Alvin semble être de ceux-là. Abélard, comme tous les poètes, n’est pas mort et continue à vivre dans les cœurs aussi bien de ses créateurs que de ses lecteurs.
Régis Hautière et Renaud Dillies ont ainsi décidé de prolonger le rêve avec Alvin. On y retrouve Gaston, la moitié de notre duo au départ improbable et désormais cultissime. Le grizzly grincheux au cœur tendre bien dissimulé semble éprouver quelque remords de n’avoir su protéger de la mort son petit ami « insupportable » qui posait tant de questions sur les choses de la vie. Il se sent encore redevable de n’avoir su apprécier pleinement la pureté de cette amitié qui lui tendait les bras, lui dont le regard sur le monde était obstrué par un nuage de mélancolie désabusée. Alvin l’orphelin va peut-être lui fournir, bien contre son gré, une seconde chance. Car Alvin, incontestablement, rappelle Abélard, non seulement par la première lettre de son prénom, mais aussi par sa petite taille. Sauf que le jeune matou fait plus figure d’enfant terrible et semble, avec sa langue bien pendue, mieux armé que le fragile moineau poète. Gaston aimerait s’en débarrasser, mais la loyauté est une de ses qualités premières. Et au fond lui, on le sent curieux de cette association inopinée qu’une fois encore il n’a pas décidée. Ce n’est d’ailleurs pas par hasard si, contre l’avis de Gaston, le gamin cherche à s’approprier le seul héritage matériel d’Abélard, ce sacré chapeau qui continue à engendrer ses petits mots de sagesse… Ainsi, une nouvelle aventure démarre pour Gaston et Alvin. Ils feront une rencontre étonnante au-delà du personnage peu recommandable qu’est ce pasteur de foire promenant sa cage aux monstres pour mieux conquérir les foules. Car sous le fumier se cachent parfois les plus beaux diamants…
Le premier tome de ce diptyque nous remet donc l’eau à la bouche et c’est peu dire qu’on attend la suite avec impatience. En plus de ce mélange subtil de tendresse et d’humour décalé, on y retrouve avec bonheur le trait « enfantin » et graphiquement très maîtrisé de Renaud Dillies, assorti d’une mise en couleur sobre et juste aux tonalités chaleureuses. Ce trait, justement, qui contraste une fois de plus avec la maturité du propos et quelques « gros mots » ça et là, confirmant que l’œuvre n’est pas vraiment destinée aux plus jeunes.
Laurent Proudhon
Alvin t.1 : L’héritage d’Abélard
Scénario : Régis Hautière
Dessin : Renaud Dillies
Editeur : Dargaud
56 pages – 13,99 €
Parution : 12 juin 2015