Film de chambre en désordre, de lits défaits et de foutre, Love passe à côté du grand beau film qu’il aurait pu être à force de dialogues insipides et de narcissisme agaçant.
À grands renforts de promo provocatrice (des affiches plus qu’explicites), de buzz et scandale cannois très rapidement atomisés (par la presse et le public), de simulé or not simulé, de vaines controverses (Ovidie interdite de projection, Angell Summers, ancienne actrice du X, qui balance sur le film…) et d’interdiction aux moins de 18 ans faisant souffler un vent de rébellion chez l’intelligentsia artistique, la nouvelle œuvre de Gaspar Noé débarque avec cette réputation de fausse esclandre et de poudre aux yeux, d’une épée dans l’eau coulée dans le fond. La polémique a bon dos bien sûr, permettant à beaucoup de cracher sur le film sur des points dont on se contrefout, quand bien même ses qualités, reléguées à du détail.
Les détracteurs de Noé (et du film) y vont de leurs vindictes qui n’ont plus vraiment à voir avec le cinéma, mais le rejet automatique, de rigueur, d’un réalisateur pas comme les autres et accusé de tous les maux (réac, homophobe, sexiste…), quand d’autres esprits chagrins se lamentent du caractère purement masculin du film (arithmétique dérisoire : il y aurait plus de phallus dressés que de vagins mouillés, la belle affaire) qui en oublierait, ô sacrilège, le plaisir féminin (mais que font les Femen ?) et renverrait la femme au simple statut de « bout de viande ». Étrange alors que l’on encense Breillat, Clark, Dumont ou Brisseau qui ont rarement fait dans la dentelle sur ce sujet, Brisseau par exemple aimant filmer de jolies jeunes filles qui ferait passer n’importe quel clampin pour un vieux libidineux aux envies très terre-à-terre.
Analyse fallacieuse donc puisque le film se morcelle en entier dans la tête d’un homme (tout comme Nymphomaniac se déroulait dans celle d’une femme, mais alors on traitait Lars von Trier de misogyne) revivant, de son point de vue, une passion consommée par l’adultère et les drogues où le plaisir (Electra semble pourtant ne jamais en manquer), justement, reste plus ou moins absent d’une réminiscence se focalisant d’abord sur l’image prégnante d’une femme, sur sa projection idéalisée, martyrisée, sublimée, totale, et non sur un corps tangible qu’il faudrait satisfaire à tout prix au nom d’une quelconque morale féministe.
Murphy, hétéro basique et pathétique, bête et méchant (Karl Glusman, très bien dans ce rôle tête à claques), ne part pas à la recherche du plaisir, mais du temps perdu et du souvenir d’une femme, Electra (Aomi Muyock, LA révélation du film), tellement aimée puis totalement perdue, elle aussi. Souvenirs épars, mouvants, d’une conversation dans un restaurant à une séance photo, d’une engueulade à une odyssée dans un club échangiste, de l’amour le matin à un plan à trois moelleux et magnifique, pulsé par la guitare déchirante de Funkadelic. Les scènes de sexe, jamais obscènes (très loin d’une sexualité normée et « beauf » bêtement dénoncée par certains, et qu’ils revoient donc, s’ils ont le courage, 50 nuances de Grey pour s’en rendre compte), et même dans leurs instants les plus crus, sont au contraire très douces, physiques et enivrantes, pensées comme des ponctuations en suspens célébrant la fusion de la chair et de l’esprit.
Le problème du film ne vient pas de là de toute façon, de ces scènes charnelles et sensuelles qui semblent gêner quelques culs-bénits regrettant soit que l’on montre ce genre de choses au cinéma (mais alors ils n’ont jamais vu de vrais pornos), soit pas assez. Le problème vient des dialogues, dialogues insipides et parfois risibles, chargés d’une solennité chronique anéantissant la moindre émotion sur son passage (on pourrait éventuellement comprendre, éventuellement pardonner parce qu’Electra et Murphy sont jeunes, sont un peu niais, sont un peu dans leur monde, mais non, ça ne passe pas même à ce niveau d’indulgence). Sans ces dialogues trop lourds de sens (le film aurait dû s’en passer, jouer sur les regards, les non-dits, l’abstrait, un minimum…) et ces quelques plans que, décidément, Noé ne peut s’empêcher de faire (deux éjaculations plein cadre, dont une in vagino comme dans Enter the void), Love aurait sans doute été une réussite, un grand film sur le dérèglement amoureux.
Love, c’est un film de chambre en désordre, un film de lits défaits, infantile, gauche, multicolore (Benoît Debie s’est encore surpassé) et somptueux dans sa mise en scène. C’est un film miroir aussi, ultra-personnel, où Noé semble observer son possible double (d’où un narcissisme un peu agaçant, mais assumé jusqu’au bout du truc) qui aime, qui baise et qui flippe, renvoyant cette image de chacun de nous avec ses désirs et ses fantasmes, se risquant à ses peurs et ses limites. C’est sans doute un autoportrait en creux et qui ne dit pas son nom, Noé filmant un ado attardé qui pourrait être Noé (même goûts cinéphiliques, même chemises à carreaux…) et qui veut devenir Noé (transformé, lui, en galeriste à moumoute). Noé est resté (restera ?) cet éternel étudiant en cinéma coincé dans sa chambre avec des posters de 2001 et de Salò aux murs, vivant le monde comme retranché dans sa bulle (amniotique), étudiant un peu maladroit, un peu andouille, mais réalisant des films de malade mental.
Michaël Pigé
Love
Film français de Gaspar Noé
Avec Karl Glusman, Aomi Muyock, Klara Kristin…
Genre : drame, érotique
Durée : 2h14
Date de sortie : 15 juillet 2015