Prix Goncourt 2012, Jérôme Ferrari, s’intéresse à travers la personne d’un jeune philosophe, au physicien Werner Heisenberg, inventeur de la mécanique quantique mais également à l’originale de la bombe atomique.
Le titre du récit de Jérôme Ferrari renvoie au principe d’incertitude, défini par le physicien Werner Heisenberg comme l’impossibilité de connaître en même temps la position et la vitesse d’une particule élémentaire. Il est question, dans ce livre, de l’évocation du parcours intellectuel et scientifique du professeur Werner Heisenberg depuis ses jeunes années jusqu’à la période immédiatement postérieure à la deuxième guerre mondiale. Il est ainsi reçu dans les années 20 par Ferdinand von Lindemann à l’Université de Munich, puis par Niels Bohr à l’Université de Göttingen, haut lieu de la science allemande alors. Ce dernier lui révèle le double caractère de sa vocation, celle d’un physicien, et aussi celle d’un poète. L’auteur de l’apostrophe, un jeune philosophe, le met en garde contre l’expression métaphorique des choses : « Mais voyez ce qu’il en est : à s’exprimer par métaphores, on se condamne à l’inexactitude et si l’on se refuse à l’avouer, on prend encore le risque du mensonge. »
Autre constat : la difficulté pour le langage humain d’illustrer des formules et équations mathématiques : « Le principe consista d’abord dans votre conviction que nous n’atteindrons jamais le fond des choses (…) parce que les choses n’ont pas de fond. »
On trouve également dans le texte de Jérôme Ferrari quelques indications sur les querelles et débats entre les physiciens : pourquoi Schrödinger se trompe, pourquoi les propositions d’Einstein méritent d’être prises en considération. Il y a également une réflexion sur la statut du scientifique, son pouvoir, sa légitimité, son degré de conscience de participer à une découverte lourde de conséquences. C’est bien sûr le cas de la nombre nucléaire, à la découverte de laquelle ont été mêlés, de près ou de plus loin, ces savants parmi lesquels Werner Heisenberg. L’un des passages du récit est frappant : en apprenant la mise au point par les Américains de cette arme terrible, les savants, confinés dans un chalet, prisonniers des Alliés, se mettent à pleurer. On ignore la cause de leur chagrin : tristesse véritable ou vanité blessée de n’avoir pas eux-mêmes pu fabriquer cette arme ?
La forme du texte est très réussie : c’est une apostrophe continue, faite d’abord à la première personne du pluriel, puis à la troisième personne de ce même pluriel, pour désigner cette fois le groupe de savants fréquenté par Werner Heisenberg. Il pose de très pertinentes questions sur la science, son pouvoir, sur les intellectuels, leur environnement. L’écriture est très élégante, le style très beau, épuré. Jérôme Ferrari nous introduit brillamment dans l’univers de ce « principe ».
Stéphane Bret
Le principe
Roman français de Jérôme Ferrari
Actes Sud Editions
176 pages – 16,50€
Parution : 4 mars 2015