L’auteur français le plus drôle, Arnaud Le Guilcher, publie un nouveau roman hilarant et sensible, Ric-Rac, tandis que ressort en poche son précédent ouvrage, Pile entre deux.
S’il y a bien un auteur qui aime les losers, forcément magnifiques, c’est bien Arnaud Le Guilcher. Le personnage principal de son quatrième roman, Ric-Rac n’y fait pas exception. Pas facile en effet de s’appeler Jeanyf (c’est comme ça qu’on prononce Jean-Yves dans le trou paumé du héros) surtout quand on a quatorze ans dans un village français perdu au milieu de nulle part. Cette ville pourrait se situer n’importe où en France, du moment que c’est petit, qu’il n’y a rien et qu’on s’y ennuie. Jeanyf se présente d’ailleurs ainsi dès les premières lignes : « Je suis un pécore qui vit à La Sourle, un village situé en lisière du trou du cul du monde. (…)Il n’y a pas d’enfants et il n’y a qu’un ado : moi. » Jeanyf veut devenir footballeur professionnel et passe sa vie à courir. Mais il est trop petit pour entrer dans un centre de formation.
Sa mère est morte et sa famille est complètement cinglée. Son père Pierryf (Pierre-Yves) qui l’aime trop et transforme leur maison en mausolée à la gloire de son épouse, Yvette, qu’il peint, qu’il sculpte sur les pieds de lit ou en colonnes à l’entrée du jardin. Et oui, on aime bien le prénom Yves dans la famille de Jeanyf. Son père a d’ailleurs installé un mur des Yves célèbres chez eux. On y trouve Duteil, Mourousi, Rénier, mais pas Klein. Dans l’entourage de Jeanyf, il y a aussi son oncle Jackyf, herboriste, rebouteux et surtout charlatan. Mais c’est le seul à lui donner un semblant d’image de père. Quant à son cousin surnommé Soubirou, il est devenu une sorte de clochard mystique qui parle avec mort.
Leur quotidien va être perturbé par l’installation de nouveaux voisins qui souhaitent lancer un commerce d’un type que La Sourle ne connaît pas encore : un gîte rural sado-maso. Ce couple de Parisiens amène également dans ses bagages une jeune adolescente, dont Jeanyf ne peut que tomber amoureux. Et il n’avait vraiment pas besoin de cela.
Ce tableau déprimant n’a rien d’hilarant de prime abord. Sauf qu’il y a derrière la plume drolatique et caustique d’Arnaud Le Guilcher. Comme dans Pas mieux et En moins bien, on retrouve un univers délirant et absurde au milieu duquel sont perdus des êtres avant tout sensibles et touchants en quête d’identité. Une fois encore, Le Guilcher aborde aussi la thématique de la filiation et interroge avec intelligence nos rapports familiaux, nécessairement tordus. L’auteur prend un malin plaisir à découper la famille à coup de tronçonneuse et d’humour décapant tout en la regardant avec une certaine tendresse.
On se tord également de rire avec Pile entre deux ressorti en même temps chez Pocket. Antoine, concepteur de bateaux sans client, va un jour chercher sa femme à La Défense où elle travaille dans la finance. Sauf qu’il arrive en plein coup de filet mondial de tous les boursicoteurs de la terre qui vont se retrouver déportés sur une île du Pacifique perdue, peuplée uniquement d’albatros et d’otaries. Antoine y aura pour seuls compagnons Fano, son ami prof de yoga qui parle aux oiseaux, et Wiki, un ancien sous-fifre dans une grosse entreprise qui souffre d’hypermnésie et sais tout sur tout. Ensemble, ils vont tenter de résister à l’infâme DSQ (toute ressemblance avec une personne existante serait purement fortuite) qui a mis toute l’île en esclavage et aime se masturber au grand air chaque matin tout en planifiant comment il va profiter de la pagaille créée par l’effondrement de la finance pour prendre le pouvoir. Mais dans ce remake de Sa Majesté des Mouches, Antoine pense d’abord à sauver son épouse Judith, prisonnière avec toutes les femmes de la finance « rafflées » sur un porte-container au large de l’île. Pile entre deux se présente plus comme un conte philosophique sur l’absence de moralité de la finance et sur les forces que chacun peut déployer pour sauver ceux qu’il aime. Kafka, Beckett, Desproges et Ionesco ne sont pas loin.
Julien Damien
Ric-Rac
Roman français d’Arnaud Le Guilcher
Éditeur : Robert Laffont
263 pages – 18 €
Parution : 5 février 2015
Pile entre deux
Roman français d’Arnaud Le Guilcher
En poche chez Pocket
344 pages – 6,80 €
Parution : 12 février 2015