Ayant pris un peu de recul de notre bon vieux canard en ligne ces derniers temps, je peux dire sans trop me risquer que l’album de Soko est de loin le disque qui est revenu hanter ma platine le plus régulièrement ces trois derniers mois. Après tout ce temps il me faut bien avoir un avis sur ce nouvel essai de la Française exilée au pays d’Ariel Pink, avec qui elle a d’ailleurs partagé une histoire d’amour californienne.
Et autant le dire tout de suite, j’ai un problème avec My dreams dictate my reality. Un problème qui n’a pas grand chose à voir avec le changement de look ou d’ambiance de la jeune femme précédemment quasi folk (aux yeux mouillés) et aujourd’hui transformée en New Wave girl plus extravertie. Rien à voir non plus avec le « convol » amoureux et musical d’ Ariel Pink . J’ai passé l’âge de m’identifier à, ou même de sexualiser les musiciens que j’admire et dépassé l’âge aussi de juger de la qualité musicale pop d’un groupe sur la présence ou l’absence d’une once de sincérité dans la pose d’une épingle à nourrice dans le lobe de l’oreille.
Le dernier musicien que j’ai révéré de la sorte est désormais un gros cinquantenaire à la dégaine de gras épouvantail… Mais vraiment vénéré hein. Au point de m’habiller en noir, de connaître par coeur les paroles de toute la discographie des Cure et de maudire mes parents qui ne voulaient pas me laisser crêper TOUS mes cheveux. J’avais 17 ans et tout était possible, comme dirait Rimbaud. Or il semble que Stéphanie Sokolinski a du partager en grandissant un peu de la même idolâtrie de Robert Smith et de ses Cure que moi à l’époque (j’ai failli écrire à son âge ce qui eut été très très paternaliste). Sauf que la demoiselle joue beaucoup mieux de la guitare que moi et a une capacité mélodique dont je suis dénué, ça pourrait donner du bon grain à moudre pour un de ces albums qui plongent profondément leurs racine dans une époque dont ils extraient la substantifique moelle.
Elle transforme sa vénération en un album ultra référencé pour ne pas dire album hommage à la discographie de Cure avec une nette préférence pour Boys Dont Cry, disintegration, et Wish. L’exercice de style est assumé puisque d’articles en communiqués de presse la demoiselle fait référence à notre Robert commun et à son jeu de guitare New Wave.
Seulement voilà l’affaire ne quitte jamais l’exercice de style pour venir me titiller le palpitant. A force de singer la structure des chansons de Cure, le son de la guitare, la réverbération, la caisse claire très martiale et chargée d’écho, et même jusqu’aux inflexions de voix, j’ai l’impression de me retrouver dans un album inédit paru au gré des rééditions pour vanter cette courte époque à la fin des seventies ou Robert Smith à rejoint Siouxsie et ses banshees en guitariste additionnel. Je ne peux détourner mon esprit de cette idée.
A un tel degré de similitude, même jusque dans la production (confiée à un proche du son de Cure, Ross Robinson -derniers albums-), je ne parviens plus à comprendre ce qui reste de place pour que la musicienne y exprime sa personnalité propre. Je ne vois plus où, malgré des mélodies entêtantes mais qui semblent être composées par un bootleg band dédié à la gloire des Cure, Soko parviendrait à faire sortir cette émotion enfantine et écorchée qui m’avait chopé sur le premier album. Ce qui devient un comble c’est que même les narrations, les histoires de syndrome Peter Pan, de mélancolie, de perte et de chagrin, de crainte de la mort qui tapissaient pourtant déjà le premier essai de la française, semblent du coup un ingrédient de plus dans l’érection d’un autel à la gloire de la formation new wave. Même les palmiers de la couverture du disque semblent un discret pied de nez à la pochette de Boys don’t cry
Au final, seuls les morceaux composés en duo avec Ariel Pink sur le chemin des idylles achevées arrive à élargir un peu l’horizon monomaniaque de cet album, en y ajoutant une dose de pop californienne et quelque chose du soleil (timide et chimique) dans le jeu de guitare. C’est un des trop rares moment du disque où Soko quitte l’ultra référence pour proposer un titre qui soit comme une réinterpretation personnelle d’un style et d’une époque, pas seulement sa copie conforme. Le mimétisme est d’autant plus râlant à mes oreilles, que la plupart des mélodies inventées par l’artiste font montre d’une efficacité assez indéniable, que malheureusement je n’arrive pas à isoler de son costume de bal masqué Cure-éen.
Dommage. Vraiment dommage. Un album à ne réserver peut-être en fait qu’aux adorateurs moins zélés que moi de Robert Smith et ses Cure. Et à en croire les chiffres de vente Fnac, ils sont nombreux. Tant mieux pour la demoiselle.
Denis Verloes
Soko – My dreams dictate my reality
Label: Because Music
Sortie: Mars 2015