Multi-instrumentiste autodidacte plus à l’aise derrière sa batterie que devant les médias, Jaakko Eino Kalevi, désormais exilé à Berlin, transmet dans ses chansons déjà cultes, un goût immodéré pour le métissage des genres, guidé par un seul mot d’ordre, gravé en lui comme une épitaphe : être libre.
Quand le magazine américain Vogue lui demande quelles chansons figurent sur son lecteur MP3, on a presque du mal à définir la ligne directrice qui expliquerait les choix musicaux de leur célèbre auditeur, tant ils sont variés (de la country de Dory Previn au rap hargneux d’A$ap Rocky), exotiques (la musique éthiopienne de Emahoy Tsegue et Maryam Guebrou), aussi populaires (Beyoncé) par moments que pointus (Connan Mockasin), comme si les étiquettes, courants musicaux et exigences des critiques n’existaient pas et que la musique contemporaine n’était qu’un grand foutoir où tout se mélangeait, des productions calibrées et sans âmes aux plus obscures morceaux expérimentaux, un grand n’importe quoi aussi riche que déroutant.
Derrière cette playlist improvisée, se cache Jaakko Eino Kalevi, le secret de moins en moins bien gardé de Finlande. Un patronyme certes compliqué, qui désigne pourtant une figure charismatique et imposante (il mesure plus de deux mètres) d’Helsinki, auteurs de plusieurs EP dont le réussi Dreamzone et qui revient à présent avec son premier album, Jaako Eino Kalevi, son disque le plus abouti, paru sur Weird World, une sous-division du label Domino Records, autant dire une consécration pour le géant finlandais.
A l’écoute de son premier album, on comprend vite beaucoup mieux les raisons des choix musicaux de celui dont on a coutume de rappeler qu’il fut un temps chauffeur de tram en Finlande (difficile de ne pas le citer) : ses chansons témoignent d’une ouverture sans limites vers des horizons musicaux aussi divers que la pop psychédélique, le disco, le funk et la folk. Chez Jaako Eino Kalevi, tous les styles musicaux méritent qu’on s’y attarde, d’anciens artistes populaires comme Chris Réa deviennent comme par magie des influences musicales revendiquées (le single Double Talk dégage la même atmosphère cotonneuse que le tube des années 80 On The Beach).
De sa voix douce et sensuelle, proche de celle d’un Brian Ferry ou de Winston Tong (le leader de Tuxedomoon), Jaako Eino Kalevi joue avec les codes d’une pop ancrée dans les années 80, sans jamais tomber dans le kitsch ou le second degré : du groove vintage façon Abba sur l’imparable Deeper Shadows à la pop synthétique et planante de Mind Like Muscle, il montre que derrière ce physique impressionnant de viking aux cheveux longs, se cache un véritable dandy au lyrisme délicat.
Les dix titres de l’album sont des chansons d’une coolitude affolante, à l’image du funky Hush Down, alliant expérimentation et séduction. Tout semble minutieusement étudié pour que l’on baisse la garde et qu’on se laisse porter par le chant du crooner nordique, comme sur Don’t Ask Me Why ou Room, deux titres plus lents à l’élégance vintage.
L’album se révèle être une expérience sonore envoûtante, sans retenue, osant même comme sur Ikuinen Purkautumaton Jannite, titre de clôture très cinématographique, organiser une rencontre improbable entre les boucles synthétiques de François de Roubaix et un solo de saxophone, réunis pour bâtir une solide pop song électronique chantée en finlandais et en duo avec sa fiancée, Sonja Immonen. Un titre en forme d’apothéose qui témoigne de l’état de grâce d’un artiste sincère qui ne prend jamais la pose.
Julien Adans
Jaakko Eino Kalevi – Jaakko Eino Kalevi
Label : Weird World
Sortie: 15 juin 2015