Kokoro – Delphine Roux

Delphine Roux

Avec ce nouveau roman,  Delphine Roux évoque un Japon bipolaire déchiré entre un avenir ultra moderne, ouvert sur le monde, et la tradition ancestrale des ancêtres figée dans le passé. Un vrai petit bijou de littérature française à la sauce japonaise.

kokoro - Delphine Roux - Editions Philippe PicquierDelphine Roux n’est pas japonaise, elle est une bonne française, et pourtant, quand je suis entré dans son livre, j’ai vérifié le nom de l’auteure et sa biographie car j’avais réellement l’impression de lire un roman nippon, son texte m’en rappelait d’autres écrits par des écrivains venus eux, à coup sûr, du Japon. Dans un magnifique texte tout de concision, de précision, dépouillé, épuré, construit sur des chapitres très courts qui ne révèlent au lecteur que ce qui est absolument nécessaire pour comprendre la belle histoire qu’elle nous dévoile dans une subtile progression, même si on se doute de l’épilogue de cette histoire très morale.

Le narrateur, Koichi, et sa grande sœur Seki ont perdu leurs parents quand ils étaient encore enfants, ils ont été élevés par leur grand-mère qu’il a fallu placer dans une maison de retraite quand la vieillesse a altéré ses facultés. Seki et Koichi vivaient en parfaite harmonie jusqu’à ce que la grande sœur devienne « une jeune femme moderne, dans l’écho des titres des magazines, dans la maîtrise du visible. Elle dit que je devrais faire comme elle, me bouger. Que je serais certainement mieux dans mes baskets. Ses conseils amplifient mes silences. Mes baskets et moi, je crois, nous entendons joyeusement ».

Seki incarne le Japon moderne, conquérant, le dragon qui terrorise tous les industriels occidentaux, alors que Koichi représente le Japon traditionnel et immuable, celui qui reste impassible devant les événements les plus inquiétants. « J’ai tout gardé. Seki voulait tout jeter, J’ai tout gardé ». La grande sœur voulait brader le passé pour plonger plus vite encore dans un avenir où l’efficacité, la vitesse, la productivité, l’enrichissement ont valeur de vérités absolues. Koichi refuse cette vie trépidante et puérile et s’incruste dans son passé pour vivre avec sa grand-mère, « J’étais bien à vivre chez grand-mère. J’évoluais à son rythme, en douceur, dans la métrique de ses rituels ». Le frère et la sœur s’éloignent jusqu’à ce que la sœur succombe à la pression dans une dépression nerveuse. Alors le frère décide d’entrer en action.

Ce thème d’un Japon bipolaire déchiré entre un avenir ultra moderne, ouvert sur le monde, et la tradition ancestrale des ancêtres figée dans le passé est récurent dans la littérature nippone actuelle, Delphine Roux connait certainement très bien cette littérature et elle s’y blottit avec bonheur. Elle use, dans son texte, de la même concision que celle qu’elle met dans la bouche de la grand-mère qui se réfugie dans le silence pour manifester son refus de finir sa vie dans son mouroir. « Quand j’entre dans sa chambre, elle m’accueille avec des lalala, des hoho. Ca veut dire bienvenue mon petit Koichi, je suis contente de te voir, tu m’as manqué ». Le lecteur devra lui aussi développer les mots de l’auteure pour déguster toute la saveur de ce texte.

Denis Billamboz

Kokoro
Roman français de de Delphine Roux
Editions Philippe Picquier
128 pages – 12,50€
Date de publication : 21 août 2015