Le jour où un morceau de lune s’écrase sur la centrale nucléaire de Tchernobourg, le quotidien de la riante cité s’en trouve bouleversé. Une race de mutants aux formes et aux pouvoirs variés va apparaître et se mêler à la population. Parmi eux, un homme-pieuvre capable de déclencher la confession de tout quidam par simple contact de ses tentacules…
Depuis l’époque où je l’ai découvert dans Fluide glacial, Foerster a toujours tenu pour moi une place à part parmi les auteurs du « journal d’humour et de bandessinées ». Ses petites histoires morbides avaient quelque chose d’incongru qui tranchait avec l’ « esprit Fluide » général. Même si l’auteur recourait au trash propre aux années 80, il restait toujours ce petit côté hors du temps, à la fois vieillot et poétique, une sorte de version européenne d’un Creepshow conçu dans les années 50. Et ses cauchemars « en cases » où le quotidien le plus banal rencontrait le fantastique (et souvent l’horreur) exerçaient sur moi une fascination particulière. Des cauchemars souvent peuplés de créatures difformes et dans lesquels des humains on ne peut plus ordinaires voire insignifiants se retrouvaient inéluctablement pris au piège d’un mauvais génie sadique au rictus grimaçant. Chaque semaine, Fluide me procurait ma dose hebdomadaire de Foerster, me plongeant dans un état de douce terreur que venait à peine alléger un humour noir grinçant à souhait.
Avec ce Confesseur sauvage, j’ai retrouvé les mêmes sensations. Car l’auteur belge semble être resté le même, fidèle à lui-même et à son univers unique, prenant un plaisir quasi enfantin à nous narrer ces mini-contes cruels où il s’autorise les délires les plus fous, faisant comme bon lui semble, intégrant du bout des doigts un vernis pseudo-scientifique, se fichant d’un quelconque réalisme psychologique comme de l’an 40, parce que sinon, ça serait forcément moins drôle ! Comme si les pires cauchemars étaient préférables à un quotidien suintant l’ennui, comme si un rire sardonique valait mieux qu’un spleen fataliste face à un monde insensé.
Nul doute que certains lui reprocheront de faire toujours la même chose, y compris pour ce qui est du style graphique. Mais son dessin est tellement indissociable des ces récits à l’atmosphère unique qu’on ne l’imaginerait pas autrement, à tel point que même une mise en couleur serait déplacée. Foerster suit la voie qu’il s’est tracé, il n’explore pas, ne se cherche pas, prend son pied et nous avec, tout simplement, où est le mal ? Immeubles et objets semblent animés d’une vie intérieure, forcément lugubre, tandis que les personnages, plus ou moins difformes, ont l’air de lutter pour rester debout, en proie à des tourments indicibles. De son cerveau malade, Foerster injecte avec brio sa poésie à la fois lunaire et grand-guignolesque dans ces contes délirants pour enfants et vieux enfants, probables exutoires à ses propres névroses. Ainsi, à vous qui lisez ces lignes, je ne saurais trop vous conseiller de mieux faire connaissance avec ce confesseur. Et puis vous avez forcément quelque chose à vous reprocher, non ?
Laurent Proudhon
Le Confesseur sauvage
Scénario & dessin : Philippe Foerster
Editeur : Glénat
104 pages – 22 €
Parution : 4 mars 2015