À 21 ans, J. B. vient d’arrêter la fac et, sous la pression maternelle, finit par accepter un emploi d’éboueur contractuel. Jour après jour, par tous temps et malgré les contraintes saisonnières, il va découvrir les joies du métier et le microcosme qui gravite autour.
Après Punk rock & mobile homes et Mon ami Dahmer, Derf Backderf nous fait visiter, avec Trashed, les coulisses des sociétés modernes. Un envers du décor peu reluisant, exhumé de ses souvenirs, où s’entassent jour après jour les poubelles de l’humanité. L’histoire est tirée de son expérience, entre 1979 et 1980, en tant que ripeur.
Alors qu’il vient de stopper ses études, J.B., 21 ans, traîne chez ses parents dans une banlieue de l’Ohio. Souhaitant quitter le domicile familial pour ne plus subir les pressions de sa mère, il parcourt les petites annonces et finit par se retrouver engagé comme éboueur contractuel au côté de Mike, un ancien ami de lycée, et de protagonistes hauts en couleur tels que Wile E., Magee, Marv et Betty le camion-benne.
Le temps des deux cent quarante pages constituant l’ouvrage, nous suivons leurs tournées sous la pluie, la chaleur étouffante de l’été ou les tempêtes hivernales glaciales. L’auteur nous immerge dans l’intimité de nos boites en ferrailles, mais aussi dans le quotidien de ceux qui les ramassent, confrontés aux torpilles jaunes (bouteilles en plastique pleines d’urine lancées par les camionneurs qui ne veulent pas s’arrêter pour ne pas perdre une seconde), à la prolifération d’asticots, aux sacs-poubelle mal fermés ou bon marché qui se déchirent, aux habitants les plus dérangés de la ville, aux chiens errants et aux bureaucrates qui dirigent la cité à coups de magouilles, copinage et corruption, les poussant à réaliser des travaux qui sortent du cadre du métier : ramassage de gros objets et d’animaux morts sur la route, transport de bois pour les amis de la direction, etc. Par des anecdotes croustillantes et des chiffres plus qu’édifiants, il ne se contente pas de nous conter une histoire, il questionne l’évolution des ordures au fil des années, le recyclage et la biodégradation. Il pose un regard critique, empreint d’un certain humour noir, sur la société de l’obsolescence, du jetable et de l’emballage à outrance, en croquant avec mordant le devenir du contenu des sacs plastiques que nous déposons régulièrement devant chez nous.
Habitués à voir disparaître les amas de détritus de nos trottoirs dans les heures qui suivent leur dépôt, le processus de la collecte est un acquis dont nous aurions bien du mal à nous passer. Pourtant, l’impact sur la planète et notre avenir est loin d’être anodin, avec des décharges et des champs d’enfouissement toujours plus grands, une pollution en expansion notamment par l’écoulement de liquides toxiques dans les nappes phréatiques et des délais de décomposition bien trop longs. L’être humain, sans s’en rendre compte, vit au milieu de ses déchets. Finalement le constat est sévère : le recyclage est un grand mot… Bienvenue à l’ère du stockage des rebuts !
Derf Backderf signe ici une extraordinaire épopée de la moisson des ordures, mêlant l’expérience à la fiction et appuyant son propos par une documentation méticuleuse sur l’industrie de la poubelle, tout en continuant à évoquer les petites villes des banlieues américaines.
L’ouvrage est aussi l’occasion d’un retour à ses débuts dans le roman graphique en prolongeant son travail sur le sujet qui avait vu une première version de 50 pages récompensée par une nomination aux Eisner Awards.
Une pépite à lire incontestablement !
Simon BAERT
Trashed
Scénario : Derf Backderf
Dessin : Derf Backderf
Éditeur : Çà et là
240 pages – 22 €
Date de sortie : 21 septembre 2015