Watine revient avec Atalaye, un nouveau projet où elle ose franchir le pas du français dans un hymne à la nature. Pari réussi pour un album beau et fragile.
Sur Still grounds for love déjà, il y avait un titre en français, un seul et il s’intitulait le cours de ma vie. Soyons précis. Avec sans doute, un premier aveu : pour parler à la première personne et révéler la face la plus intimiste de ses textes, le français devient souvent nécessaire voire indispensable. On ne se met vraiment à nu que dans sa langue maternelle. Tout naturellement, Atalaye, entièrement en français, est un disque intimiste. A sa manière. Car au niveau de la musique ou des textes, la Française a une conception toute personnelle de l’intimiste et de son moi intérieur.
Atalaye n’est pas un disque du quotidien avec comme décor un deux-pièces cuisine. C’est même tout le contraire. Atalaye est un album qui respire la pleine nature, une bouffée d’air frais dans des paysages préservés ou presque. L’album a d’ailleurs été en partie enregistré en pleine campagne anglaise dans un manoir, le Mount Harry House, sous la houlette de Ian Caple (Tindersticks, Bashung). La nature revient sans cesse : des Appalaches au sommet d’une dune à contempler la mer. Ou à l’ombre des saules près d’un lac immobile. Comme dans une toile romantique de Caspar david Friedrich, les paysages révèlent souvent l’humeur profonde de Watine, cette mélancolie vis à vis du temps qui passe (« cet assassin, ce mécréant après qui (elle) court dans Badaboum et Tralalère ici en version seule au piano), mais rehaussée d’un florilège de sensations impressionnistes. Le bonheur fugace renaît d’une exposition au soleil ou aux embruns de l’air marin. Et tout naturellement, Atalaye devient l’album la plus acoustique de son auteur : l’électronique qui faisait la part belle sur Dermaphrodite, le premier album de Watine n’est plus ici utilisée pour rajouter un supplément de matière à un album déjà texturé : il suffit d’écouter le magnifique instrumental – sur les traces d’un Sylvain Chauveau – Conversation d’archets pour s’en convaincre.
Férue de musique classique, Watine aurait pu interpréter seule au piano ses chansons (qui deviendraient des Nocturnes). Mais le projet est tout autre, plus lumineux, plus vivant : comme toujours, elle amène dans son univers verdoyant une cohorte d’amis musiciens. Envie de partager, envie aussi de réaliser une œuvre orchestrale. Violon, violoncelle, contrebasse, accordéon, flute, guitare mais aussi toy piano, scie musicale, ukulele (enregistrés en France par Paul Levis). Atalaye est un album grandiose (la raison qui me pousse par exemple) mais de manière paradoxale, il demeure en permanence à taille humaine, affirmant une fragilité salvatrice.
Une belle qualité, la fragilité, présente en permanence sur tout l’album. Que ce soit dans la voix même de Watine, avançant souvent sur la pointe de pieds mais imprimant une émotion digne et sincère. Que ce soit aussi dans ses arrangements légers, un peu décalés (avec justement ces instruments enfantins) qui donnent un sentiment de légèreté et de liberté à ces compositions orchestrales qui semblent dès lors vivantes. Entre le classicisme folk de Divine Comedy, la sensibilité à fleur de peau de Kate Bush et l’inventivité de Tycho Brahé ou de Nino Rota, Watine semble trouver le bon point d’équilibre. Sur un fil, fin et délicat mais que l’on empruntera le coeur léger, en respirant à pleins poumons.
Denis Zorgniotti
Label : Catgang / Microcultures
Date de sortie : 21 juin 2015