20 ans après la disparition de son créateur, Corto Maltese effectue son grand retour. Toutes voiles au vent, c’est cette fois dans le Grand Nord canadien qu’il va jeter l’ancre à la demande de son ami Jack London.
Casquette et pardessus de marin, boucle d’oreille et favoris, pas de doute Corto Maltese est de retour dans toutes les librairies ! Après avoir disparu pendant vingt ans du paysage de la bande dessinée avec l’album Mû, La Cité perdue, le voilà qui sort de l’oubli. Pourtant, ce nouvel opus des pérambulations du maltais, intitulé Sous le soleil de minuit, ne s’inscrit chronologiquement pas à sa suite, mais en 1915 dans la continuité de La ballade de la mer salée.
Cette treizième aventure démarre par un rêve de Corto dans lequel son fidèle acolyte Raspoutine a croisé La Faucheuse d’un peu trop près. Tiré des songes par celui qui en était la victime, il prend la décision de retrouver son ami Jack London et quitte le Panama en direction de San Francisco. Il n’y obtiendra qu’une lettre laissée par l’écrivain avec pour consigne de remettre un message à Waka Yamada, militante contre la traite des blanches en Alaska. Avec son détachement habituel, il fera donc route vers le Grand Nord canadien, croisant dans sa quête une galerie d’individus atypiques : un chef de tribu inuit au goût immodéré pour la guillotine, des patriotes irlandais perdus dans la toundra, un scientifique défenseur de l’inégalité des races ou encore des prostitués en pleine révolution. Comme à son habitude, le capitaine Maltese se retrouve entre les feux d’une multitude de conflits. Un comble pour le marin pacifique !
Si, après une si longue absence, le défi à relever pour Rubén Pellejero et Juan Díaz Canales avec cette suite des errances de l’icône prattienne était de taille, force est de reconnaître que l’essai est transformé. La figure si singulière de Corto Maltese est de la partie, cultivant toujours cette nonchalance, ce sens de la formule qui lui est propre, ces valeurs libertaires et anarchistes, cet humanisme ponctué d’actions désintéressées qu’il hisse plus haut que les drapeaux. Il est insaisissable, ambigu, énigmatique et séducteur. C’est un héros hors du temps, tel un anachronisme, un personnage profond et d’une modernité que pourraient lui envier la plupart de nos contemporains. Transgressant les règles, il évolue au gré du vent là où les frontières sont souvent floues.
Outre le protagoniste principal, le scénario tient lui aussi la marée. Il respecte les codes développés par Hugo Pratt. On y retrouve cette ambiance si particulière, sa poésie et ses réflexions philosophiques sur le monde et l’existence, dans un mélange de romantisme, de folie héroïque et d’autodérision spécifiques à l’univers de la série que le dessin met parfaitement en avant. Bien que souhaitant ne pas copier le style, le trait est dans l’esprit originel, réalisé rapidement et avec spontanéité.
Sans doute moins aéré que les précédents, ne laissant pas le temps défiler au rythme du flegme de Corto Maltese, cet ouvrage se révèle être un très bon cru. Espérons que, si une suite doit voir le jour, elle sera du même acabit !
Simon BAERT
Corto Maltese Tome 13 Sous le soleil de minuit
Scénario : Juan Díaz Canalès
Dessin : Ruben Pellejero
Éditeur : Casterman
96 pages – 25 €
Date de sortie : 30 septembre 2015