Édition numéro 124 de notre revue d’albums en accéléré avec dans la sélection du mois : The Twilight sad, Anne Cardona, Pascale Picard, Battles, Peaches, Sapiens Sapiens, Moonya, Orbis, The Shape, Girl Band, Talia, Blue Daisy et Summer.
The Twilight sad – Oran Mor session
Quel beau nom que ce Twilight sad ! Et finalement tellement juste à l’écoute de cet album reprenant le nom d’un lieu à l’ouest de Glasgow. La musique distillée par ce groupe écossais (cela s’entend aussi à l’accent) est d’une profonde tristesse, mais cette folk aux accents traditionnels est portée par une telle ferveur qu’elle atteint des sommets cosmiques. La voix de James Alexander Graham, souvent doublé dans une reverb’ enivrante, participe à ce sentiment d’élévation mais les arrangements participent aussi à ce nouvel éclairage d’un crépuscule pourtant annoncé : le piano, l’accordéon ne sont pas là pour plomber mais apporter un regain de souffle de vie. Ce ne sont pas là les Levellers et autre tenant d’une musique de pub mais une association plus ambigüe et presque mystique. Et quand on sait que ces Sessions ne sont que des face B retravaillées (plus la reprise I couldn’t say it’ your face); on se dit qu’il faut écouter d’urgence les trois précédents albums de The Twilight Sad. (4.0) Denis Zorgniotti
Fat Cat / differ-ant – Oct 2015
Anne Cardona – Oiseau de nuit
La qualité d’un disque tient parfois à peu de choses et c’est le cas avec ce premier album d’Anne Cardona. Ce n’est pas la voix de la jeune femme qui pourrait être sujet à récrimination (son timbre clair entre Françoise Hardy et Robi a de quoi séduire) mais des mélodies qui pourraient virer à des ritournelles gentillettes (c’est d’ailleurs le cas sur un ou deux titres). Mais c’est sans compter sur les arrangements concoctés par Jean-Louis Piérot et Benoit Guivarch et Nicolas Leroux (Overhead). Un véritable écrin laissant respirer violoncelle, pedal steel et guitares. Peu de batterie mais des riffs précis, des arpèges mélancoliques, un lit de claviers évanescents, autant de touches aptes à créer des jolies atmosphères nocturnes. Anne Cardona se mue dès lors en Mazzy Star francophone. Un joli oiseau de nuit en vérité. (3.5) Denis Zorgniotti
L’autre Distribution – Septembre 2015
Pascale Picard – All thing pass
On pourrait se dire que Pascale Picard est une chanteuse de plus dans le paysage pop-rock. Sauf qu’avec ces 150.000 exemplaires de son premier album Me Myself and us vendus en France, la jeune canadienne mérite que l’on se penche un peu sur son cas. All Things pass a tous les atouts pour battre ce record : mélodies plaisantes, arrangements aimables. Justement, tout ceci est bien joli, un peu trop avec même un soupçon de hip hop pour coller à l’air du temps. Pascale Picard a des allures d’Alanis Morissette, les frisettes en moins. En fait, elle ressemble à une pléthore de chanteuses pop-rock longues comme deux bras, sans justement affirmée une quelconque personnalité. De quoi alimenter une playlist de RTL2, proposant un nouveau nom mais aucunement une nouvelle musique. La musique de Picard sent le réchauffé. Cela semble antinomique mais c’est vrai. (2.0) Denis Zorgniotti
Simone Records / Zamora prod / l’Autre Distribution – Août 2015
Battles – La Di Da Di
Avec leur nouvel album, La Di Da Di, Battles s’enfonce dans les méandres d’un progressive-math-rock survitaminé, nourri d’effluves africaines, de cassures denses et d’arabesques tourbillonnantes, délaissant les voix au profit d’une musique 100% instrumentale. Si leur univers peut en rebuter plus d’un, de par sa complexité, La Di Da Di simplifie les choses tout en injectant dans son moteur un carburant vitriolé, faisant rouler des motifs de pierre brute sur des tapis de dentelle métallique, explosant les archétypes pour les faire fusionner dans un chaudron de lave bouillonnante, confectionnée à coups de rythmiques syncopées, de guitares torsadées et de claviers joueurs. Battles s’amuse à tordre le cou aux mélodies, éviscérant chaque motif jusqu’à la moelle, créant des loops animés de vie intrinsèque aux mouvements sinueux et virages anguleux, pour un album intense et lumineux, à la concision expérimentale jusqu’au-boutiste et acérée. (3.5) Roland Torres
Warp – 2015
Peaches – Rub
C’est en totale indépendance que revient, après 6 ans d’absence, la déjantée canadienne Peaches, avec un nouvel album qui sort sur son propre label, I U She Music. Si Peaches ne change rien dans sa façon d’aborder la musique, avec une production minimale qui claque, des gimmicks accrocheurs et des textes débordant de sexualité, Rub verse dans un electro hip hop bondissant mâtiné de disco spatial, qui voit Kim Gordon (Sonic Youth, Body/Head) venir lui prêter main forte sur le titre d’ouverture. Appuyé par le musicien Vice Cooler, Peaches frappe une nouvelle fois juste avec ses tracks débordants d’énergie positive, de queer attitude et d’humour sarcastique, de prises de positions frontales et de férocité jouissive, accompagnant ses morceaux de clips hilarants qui donnent la furieuse envie de prendre les armes de la provocation. A la croisée des genres, entre M.I.A., Jahcoozi, Missy Elliott, Suicide et Moroder, Peaches offre un opus jubilatoire et militant, incisif et percutant. (3.0) Roland Torres
I U She Music – 2015
Sapiens Sapiens – Beasty machines
Une bonne claque à la mauvaise humeur ambiante ! Sapiens, sapiens , c’est du groovy, du funk, du flow, des scratch hip hop, du sample, des claviers vintage, du vocoder, des gimmick de guitare en veux-tu en voilà et même des effets qui font passer la musique en mode supersonique. Une électro festive mais qui ne tombe jamais dans la facilité et qui emporte l’auditeur sur son passage. Un DJ Shadow qui ne se prend pas au sérieux ou un Chemical Brothers lumineux et joyeux, avec comme eux, la touche new wave qui s’infiltre par tous les interstices de la musique. Les Tourangeaux Gwendal et Doudou Bass qui forment Sapiens Sapiens traite leur musique de « cheap ». j’aimerais que tous les disques soient aussi cheap que celui-ci. (3.5) Denis Zorgniotti
Autoproduit – Septembre 2015 Deezer
Moonya – Heaven EP
On connaissait Amandine Fontaine-Rebière partie féminine du duo Aña. Sous le nom de Moonya, elle s’octroie une petite escapade solo. De son groupe initial, la Normande a gardé le meilleur : le son (le disque est enregistré par David Fontaine, l’autre Aña, dans son propre studio) et l’esprit (une dream pop mâtiné de cold wave, entre rêverie et mélancolie). Mais elle profite de son statut solo pour épurer ses compositions. L’ornementation se fait plus légère : boucle, trompette, mélodica, guitare, rien n’est asséné et sert à mettre sur orbite la voix Amandine, qui, un bonheur n’arrivant jamais seul, se multiplie dans une jolie prolifération de choeurs enivrants. En anglais ou en français, Moonya pourrait donc évoquer Lush ou Daughter mais dans une formule light mais non moins sensible. (3.5) Denis Zorgniotti
Autoproduit – Juin 2015 Bandcamp
Orbis – Dice are cast
Manquerait plus que l’application, la maitrise de son instrument et la recherche mélodique deviennent des défauts ! Des qualités qu’Orbis possède. Le groupe a donc peaufiné pendant 3 ans ce qui est devenu son premier album. Et cela se ressent. Il y a de la qualité là-dedans dans une musique qui se réfère plus à un rock classique qu’à un rock indé (si vous cherchez de la créativité, de l’avant-garde…passez votre chemin). En effet, Orbis remet en mémoire à notre bon souvenir Live ou Alice in Chains, affleurant les rivages d’un rock ténébreux, d’un grunge sensible voire quelques reflets métallisés. Les Français ont la bonne idée de ne pas tomber dans la démonstration (les solos de guitare et les épanchements de voix sont canalisés) et surtout de peaufiner leurs atmosphères derrière leurs compositions soignées et précises. Tout Dice are cast baigne dans une lumière entre chien et loups. Du bel ouvrage en quelque sorte. (3.0) Denis Zorgniotti
Autoproduit – Mars 2015 Soundcloud
The Shape – Lonely crowd
Avis aux nostalgiques, Litfiba a été un groupe important en Italie (et même ailleurs pour ceux qui avaient eu la chance de découvrir la musique des Florentins). Eh bien, il y a comme un parfum de Litfiba chez The Shape. Le disque est d’ailleurs co-produit par Giorgio Canali qui avait travaillé par Litfiba justement (plus CCCP et CSI). Francesco Lucchese, le chanteur, ne manque pas de charisme et à ses influences anglo-saxonnes diverses et variées (de Mark Lanegan à Pink Floyd en passant par The Mission), le groupe ajoute en filigrane ce petit esprit latin qui fait toute la différence. On peut donc se laisser tenter pas The Shape, nostalgique ou pas, a fortiori quand les Italiens pondent un titre de la qualité de Ancient Woman. (3.0) Denis Zorgniotti
Bass Department Records – juin 2015 – Bandcamp
Girl Band – Holding Hands With Jamie
Il y a bien longtemps qu’un groupe de rock n’avait suscité autant d’émoi chez moi, que ce premier opus du quatuor irlandais Girl Band. Repéré via leur reprise du titre electro déjanté Why They Hide Their Bodies Under My Garage ? de Blawan, sous ses airs de premier de la classe, Girl Band donne dans une no-wave post-punk ébouriffante qui joue avec les nerfs, tissant dans des pelotes de laine métallique, des chansons déstructurées, aux allures de vociférations agonisantes sur fond de guitares électrifiantes, de rythmiques en mode loops et de hurlements crissants. On pourrait citer une pléiade d’illustres prédécesseurs, mais on préférera vous conseiller d’écouter et de vous concentrer sur leur musique haute en tension et en énergie débridée, débarrassée de contraintes et de règles, habitée de liberté et de férocité, de rage nue et d’exultation jubilatoire, de sauvagerie et de radicalité. (4.0) Roland Torres
Rough Trade/PIAS – septembre 2015
Talia – Thugs they look like angels
Talia n’est pas genre à prendre des chemins biscornus. Ils ont décidé de faire du rock et s’y tiennent. Après Permanent Midlife Crisis (référence à Faith no more ?), les revoici avec Thugs they look like angels (référence aux Thugs ?). Des riffs ciselés, une basse lourde, une batterie qui envoie. Dis comme ça, cela pourrait ressembler à un groupe de bourrins. Or ça ne l’est pas, les Français ayant le don inné pour parer d’une bonne mélodie leur énergie rock. Très branché par le rock US des années 90, Talia se place même souvent dans la partie féminine de cette filiation : de Hole à Veruca Salt en passant par Juliana Hatfield version musclée ; ceci expliquant aussi cette douceur derrière les gros bras. Nicolas Costa au chant (un homme donc) endosse parfaitement le rôle de leader. Et les singles Play dead et American Bride n’ont rien envier aux classiques du genre. Avec Talia, on a sans doute affaire à un groupe de série mais sans se prendre la tête, sans poser ou tergiverser, le trio fait très bien ce qu’il a à faire. Et on en redemande. (3.5) Denis Zorgniotti
Send the Wood music / Season of Mist – Octobre 2015 Soundcloud
Blue Daisy – Darker Than Blue
Kwesi Darko, plus connu sous le pseudo de Blue Daisy, a collaboré avec Tricky sur False Idols… Fort logique quand on écoute son nouvel album Darker Than Blue sorti sur le label R&S Records dans lequel on retrouve une bonne partie des gimmicks propres à la musique de celui qui fut avec quelque autres à l’origine du trip-hop de Bristol. Dans un registre rap trip hop très noir, pimenté de touches jazz ou indus, le londonien distille des compositions denses et sinueuses, aux sonorités anxiogènes et aux ambiances glauques et poisseuses, le tout porté la voix sombre et rauque d’un Kwesi Darko très à l’aise quand il s’agit de foutre la trouille. Un disque suffisamment original réussi pour attiser la curiosité des fans de trip hop en attendant pourquoi pas le nouveau projet collaboratif,de Tricky intitulé Skilled Mechanic. (3.5) Benoit Richard
R&S Records – septembre 2015 – bandcamp
Summer – Hot servitude
« Le monde peut bien s’effriter« … mais Summer va bien merci. Mieux, tel un vampire, il se repait des tourments d’un monde schizophrène où la recherche effrénée du sexe compense le sentiment de chaos. Après French Manucure, les revoilà donc de retour – à leur meilleur – pour un album, beau comme un direct dans le plexus. Hot servitude à pour une plongée en eaux profondes (et sans bouteilles) pour un voyage intense et claustrophobe là où la lumière se fait de plus en plus rare. Une véritable machine infernale mi-machine-mi chair avec des synthés, des guitares et une voix-parlé reine de la punchline (« joli karma pour des nuits sales » ; « donne moi la sensation de me faire baiser comme si j’étais en visite au Comptoir des Cotonniers » …). Au programme : Narcissisme, voyeurisme, obsession, frustration sexuelle ; ces héritiers de Virginie Despentes et de Programme autre amateur d’une colère punk froide, redonnent un sens littéral au Pornography de Cure – autre référence musicale centrale de Summer. D’un pessimisme absolu, d’un intérêt musical majeur avec même un semblant d’espoir sur Vampire. « »ton corps, tes yeux, ma rédemption »… le sentiment furtif de l’amour, le vrai. Enfin. (4.5) Denis Zorgniotti
Autoproduit – Octobre 2015 Bandcamp