Sérieux, tu peux pas critiquer un groupe comme les Libertines à la seule lumière de l’efficacité ou de l’originalité de l’album. C’est impossible. Ce serait comme regarder une pub pourrie des casques Beats en période de coupe du monde de Rugby, sans sourire à chaque fois que Sébastien Chabal ouvre la bouche, genre.
The libertines c’est le rock. Un des derniers groupes fédérateurs de la musique indie, apparu au tournant du siècle comme un contre pouvoir punk au garage des copains américains Strokes. Le premier groupe anglais à émerger juste après la vague électronique mondiale, et sans doute le dernier dont même les lecteurs de Télérama ont entendu parler avant que le net ne fasse exploser la musique « alternative » en autant de niches ,ou presque , que d’auditeurs.
Bizarrement d’ailleurs c’est au début de « légende urbaine« que je songe en démarrant l’écoute , plus qu’à la musique elle-même : tiens Doherty semble toujours tenir debout, tiens je me demande si le retour conjoint de la paire Doherty/Barat enrichit ou non les dealers Londoniens… Je n’en suis pas fier, puis de toutes façons tout le monde sait désormais que Pete Doherty, comme tous les gens biens, habite désormais en Seine et Marne: à Melun, ce qui en fait devrait nous inquiéter sur sa santé mentale, mais passons. Bisous aux Melunois.
Musicalement anthems for doomed Youth va faire grincer les vieux punks qui avaient apposé leur blanc seing au patronage du groupe par Mick Jones. Anthems est tout sauf punk. Sauf à considérer que les petites minettes en perfecto vintage de Pigalle, se rougissant les lèvres dans les appartes à 1500 balles du 9e sont punks. Le punk est mort: Pete Doherty habite en bout de ligne D du RER, avec ses quelques kilos en trop de mi trentenaire sorti de détox.
Du coup, anthems est un album super produit, de pop rock, pas si éloigné en fait de la britpop de la seconde heure, au milieu des 90’s: la Britpop un peu emphatique de The great escape de Blur , du be here now d’Oasis; le cynisme désabusé du misShapes de Pulp, mais aussi des hymnes pour stade de foot des Manic Street Preachers, et des ballades de bad boy repenti façon Stereophonics. C’est excessif, ça flirte tout du long avec la petite ligne rouge du mauvais goût mais je suis à peu près sûr qu’un bon tiers de l’album va finir en playlist sur « la radio rock ». Il y a une chose à laquelle la tribu réunifiée est forte au moment de tenir leur flambeau au conseil: la mélodie. Tous « tartignoles » que soient la plupart des titres de l’album, pas un seul ou presque qui ne se trace une voie directe vers le sifflotement du matin, dont on essayerait de se désenvoûter toute la journée.
Anthems est un album de pub rock de quarantenaires. Ceci énoncé, tu peux soit passer ton chemin (je te comprends), soit verser ta larmichette sur l’autel de la nostalgie, soit te faire bannir des couloirs du boulot après ta énième reprise à la lèvre musicale de gunga din ou Iceman.
Le groupe réunifié évoque les démons de jeunesse: le manque après la piquouse, les bagarres de mecs bourrés, l’addiction, le manque affectif, et le sevrage…. Et les agite comme une poupée vaudou. Un peu téléphoné mais efficace .
Musicalement, le disque en fait trop, les arrangements sont construits pour donner de l’ampleur aux mélodies efficaces, si bien qu’on imagine déjà des concerts dans des salles à la jauge imposante, mettons Bercy ou Forest National tiens, où le public reprend à la place des libertines la plupart des titres de ce anthems.
Mais putain que c’est efficace.
Je dois contraindre mon penchant bourrin pour ne pas me passer cette galette pop en boucle, elle qui convoque mes souvenirs de Libertines ET ceux de jeunesse au milieu des 90’s.
Ce disque est un compagnon de beuverie idéale , et je suis persuadé que Heart of The Matter par exemple pourrait bien réveiller les envies de pogo dans une jeunesse largement aseptisée .
Ces dernières années en solo, Doherty et Barat ont tous deux viré pop, et leur réunion suit la même pente spontanée . Fury of Chombury est le seul titre qui se rapproche peu ou prou de l’immédiateté punk. Musicalement, les deux protagonistes se répartissent les lumières de la rampe: Pete Doherty prend les voix basses, rauques avec l’accent british, tandis que Barat va chercher les notes les plus hautes avec son faux air glam. L’union des deux guitares qui se tirent la bourre ajoute à la fraîcheur de l’ensemble . Derrière ses fûts Gary Powell semble le dernier titulaire des tables de la loi martiale du punk, et souvent en fait mon oreille cale sur son jeu très bien servi par le mixage de l’album. Ça dégouline de partout, c’est un poil emphatique , mais putain ça marche bien… Allez je me le remets encore une fois: gunga din avec ses trois accords barrés et son refrain à reprendre en chœur va faire chavirer les filles autour du feu de camps dans le camping des Eurockéennes cet été.
Anthems est un de ces albums paradoxe à mes oreilles. J’y repère toutes les ficelles qui en font un produit marketé pour réussir, pour passer en radio et assurer les dates de concert . Oui mais…. Je me laisse prendre chaque fois comme un bleu, par les hits en puissance mais aussi par ces petits moments apparemment plus intimes comme dead for love, oú Doherty s’arrache les tripes sur un morceau sans velléité radiophonique majeure. Le disque de retour aux affaires des Libertines est calibré pour le succès commercial et n’a plus de punk que l’imaginaire des jeunes filles en Stan Smith de Pigalle. J’aimerais le détester pour ce piège à cons qu’il représente. Seulement voilà, je suis un con et je me laisse embringuer.
Denis Verloes
The Libertines – Anthems For Doomed Youth
Label: Virgin EMI / Universal
Date de sortie: octobre 2015